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8 août : « Jour de deuil de l’Armée allemande »

L’été 1918 est marqué d’un contexte particulièrement favorable pour les Alliés commandés par le Maréchal Foch. En effet, les différentes offensives de Ludendorf ont été enrayées entre la Lys (Flandres) et la Marne. Le 18 juillet, les Franco-Américains des VIe et Xe Armées commandées respectivement par Mangin et Degoutte repoussent vigoureusement deux armées allemandes entre Villers-Cotterêts et Reims.
Foch décide alors de déclencher une seconde contre-attaque destinée à dégager définitivement la voie ferrée Paris – Amiens entre les cours de l’Ancre et de l’Oise.

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1 – PLANS ET FORCES

– Foch a décidé de profiter de la très bonne base de départ constituée par l’action heureuse du Général Marie-Eugène Debeney à Mailly-Raineval. Le 3 août, Foch rencontre Douglas Haig (commandant en chef britannique) à Mouchy-le-Châtel. Les deux chefs conviennent alors d’une attaque conjointe contre les lignes de l’Armee-Gruppe « Ruprecht » commandé par le Kronprinz Ruprecht de Bavière. Elle est confiée à la IVth British Army du General Henry Rawlinson et à la Ire Armée Française de Debeney. La IIIe Armée Française du Général Georges Humbert se trouve en réserve.

– Français et troupes du Commonwealth doivent reconquérir le Plateau de Santerre, atteindre le front Méricourt – Le Quesnel en progressant au sud du cours de la Somme. Ensuite, les forces alliées doivent infléchir leur offensive vers le sud-est pour couper la route de Roye, ainsi que lignes de communications allemandes entre Montdidier et Lassigny. La longueur de front à conquérir mesure 25 km entre Albert et Moreuil.

– Rawlinson doit attaquer sur l’aile gauche (nord – nord-ouest) face à la IV. Armee allemande de Georg von der Marwitz : Tout d’abord, au nord, le IIIrd Army Corps de Butler doit déboucher au nord parallèlement à la rive droite (nord) de la Somme.  Le Canadian Corps de Currie et l’Australian Corps de Monash doivent déboucher au sud entre la Somme et la Luce. Les Canadiens doivent maintenir la jointure avec la Ire Armée Française. En réserve, Rawlinson maintient le British Cavalry Corps de Kavanagh, 3 Division d’Infanterie (17th, 32nd et 63rd Royal Naval), 1 Brigade d’Automitrailleuses et 1 Bataillon de Cyclistes Canadien.

– La Ire Armée de Debeney doit attaquer au sud entre Luce et Moreil avec 5 Divisions en fer de lance tirés des XXXIe, IXe, Xe et XXXVe Corps d’Armées. Le IInd Corps de Cavalerie de Robillot est placé en réserve. Quant au XXXIVe de Nudant est mis à disposition par Humbert pour déclencher une attaque de couverture sur le flanc droit de la Ire Armée. La jonction entre l’aile droite de la IVth British Army et la Ire Armée française, doit être assurée par l’extrême gauche du XXXIe Corps français, plus précisément par la 37e DI du Général Henri Simon.

– Pour leur contre-offensive, Français et Britanniques vont bénéficier des innovations techniques grâce à l’apport des chars et de l’aviation. Ainsi, Rawlinson peut compter sur l’apport colossal pour l’époque de 450 chars (réserves comprises) de type Mark IV et Mark V, ainsi que sur des automitrailleuses Mk I A Whipper et Austin. Pour assommer les positions allemandes, le général anglais peut disposer de près de 2 000 pièces d’artillerie. D’autre part, la Royal Air Force doit participer au succès avec trois brigades aériennes placées sous le commandement de John Salmond (1 900 appareils). Les pilotes britanniques doivent coopérer avec l’Infanterie et les Chars pour pilonner les lignes allemandes dans leur profondeur.
Autre atout des Français et des Britanniques, leur artillerie bien approvisionnée grâce à la motorisation de la logistique. En outre, la quantité des canons et leur qualité a notablement évolué côté français avec la création de nouveaux régiments d’artillerie lourde. Enfin, côté français, on peut compter sur l’appui des nouveaux chars Renault F-17.
Astucieusement, Rawlinson et Debeney mettent le mauvais temps à profit pour achever leurs préparatifs d’offensive, tout simplement parce que les avions allemands ne peuvent prendre l’air.
Enfin, comme le signalait Jean Lopez dans Guerres & Histoire, le dernier atout franco-britannique réside dans les efforts considérables accomplis en matière de motorisation depuis 1916 et dans la constitution d’un réseau routier adéquat derrière les lignes. Ces travaux cruciaux permettent d’acheminer des renforts et les unités de réserve au plus près du front dans de moindres délais qu’au début de la Grande guerre.

– Le tableau des forces alliées est donc le suivant :

* IVth British Army

– IIIrd Army Corps (Sir Richard Butler) : 12th Eastern Division, 18th Eastern Division, 47th (1/2nd London Division (G.F. Gorringe) et 10th Tank Battalion
– Australian Corps (Sir John Monash) : 1st Australian Division (Th. Glasgow), 2nd Australian Division (Ch. Rosenthal), 3rd Australian Division (J. Gellibrand), 4th Australian Division (E. Sinclair-MacLaglan), 5th Australian Division (J. Hobbs), 33rd US Division (G. Bell Jr.) et 5th Tank Brigade
– Canadian Corps (Sir Arthur Currie) : 1st Canadian Division (A.C. McDonnell), 2nd Canadian Division (H.E. Burstall), 3rd Canadian Division (Fr.O.W.Loomis), 4th Canadian Division (D. Watson) et 4th Tank Brigade.
– British Cavalry Corps (Sir Charles Kavanagh) : 1st Cavalry Division, 2nd Cavalry Division (T.T. Pitman), 3rd Cavalry Division (A.E.W. Harman) et 3rd Tank Brigade.

 

* Ire Armée Française

– XXXIe Corps d’Armée (Paul-Louis Toulorge) : 37e DI (H. Simon), 42e DI (Deville), 66e DI (Brissaud-Desmaillet), 126e DI (Matthieu) et 153e DI (Goubaud)
– IXe Corps d’Armée (Noël Garnier-Duplessix) : 3e DI (P-E. Nayral Martin de Bourgon), 15e DI Coloniale (Guérin)
– Xe Corps (Charles Vandenburg) : 60e DI (Jacquemot), 152e DI (F. Andrieu) et 166e DI (Cabaud)
– XXXVe Corps (Charles Jacquot) : 46e DI, 133e DI et 169e DI (S. Almeras-Latour)
– IInd Corps de Cavalerie (Félix Robillot) : 2e DC (Lasson), 4e DC (Lavigne-Delville) et 6e DC (Mesplé)

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– Du côté allemand, on ne peut pas bénéficier d’une tel déploiement de force. Si sur le papier, les unités d’infanterie allemandes restent redoutables, elles ont dans les jambes plusieurs mois de combat et ne bénéficient pas d’un approvisionnement aussi important que leurs ennemies en raison de l’étirement des lignes logistiques et aussi (surtout) du manque de denrées en provenance d’Allemagne. Enfin, contrairement aux Alliés – et on l’oublie souvent – la Kaisersheer de 1918 a une très bonne infanterie d’élite mais n’est que pauvrement mécanisée et n’aligne que très peu de chars dans ce secteur et exclusivement des patauds A7-V.

Face aux alliés, le Kronprinz Ruprecht aligne les :
 IV. Armee de von der Marwitz face aux Britanniques ; avec les LIV. Armee-Korps (Alfed von Larisch ; 5 Divisions, XI. AK (Viktor Kühne – 8 Divisions) et LI. AK (Eberhard von Hofacker).
–  XVIII. Armee d’Oskar von Hutier face aux Français ; avec les III. AK (Walther von Lüttwitz ; 4 Divisions), IX. AK (Horst Ritter von Öttinger ; 3 Divisions) et I. Bayerisches-Korps (Nikolau Ritter von Endres – 2 Divisions don’t l’Alpenkorps). La XVIII. Armee compte encore trois Corps (I. XXVI. et XVIII. Reserve) mais qui ne joue pas de rôle dans les combats.
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2 – L’ASSAUT DU 8 AOÛT

Durant les jours qui précèdent l’offensive, Foch, Haig, Rawlinson et Debeney peuvent craintre que la pluie qui s’abat sur leur zone d’offensive ne mette à mal la mobilité de leurs unités. Toutefois, les chefs britanniques et français se rassurent pendant la nuit puisque les averses cessent pour laisser la placer à une brume épaisse. L’assaut britannique doit débuter à 04h50 alors que celui de la Ire Armée Française doit quasiment en même temps.
Durant la nuit du 7 au 8 août, Durant la nuit du 7-8 août, les 1st, 2nd, 3rd et 4th Canadian Divisions de Currie se massent sur leurs lignes de départ entre Amiens et Villers-Bretonneux

A 04h20 donc, Henry Rawlison ordonne à son artillerie de matraquer les positions de la IV. Armee allemande. A l’heure même, trois pièces lourdes ouvrent le feu, suivies par les quelques 2 000 autres. Le barrage roulant britannique labourre le champ d’assaut des Australiens et des Canadiens. Pendant ce temps, les escadrilles de Salmond tournent au-dessus des lignes allemandes comme des essaims de frelons. Pour les hommes de von Marwitz, le réveil est particulièrement brutal. Complètement surprise et sonnée, la première ligne allemande n’offre que peu de résistance.

Peu avant 06h00, les Bataillons de l’Australian Corps de John Monash (2nd et 3rd Australian Divisions) et le Canadian Corps d’Arthur Currie (1st, 2nd et 3rd Canadian Divisions) sortent de leurs tranchées et s’élancent à l’assaut précédés par près de 400 chars.  A 07h10, les deux dvisions de tête australiennes atteignent leurs objectifs après une avance de 3,7 km. Monash fait alors intervenir ses 4th et 5th Divisions de Sinclair-McLaglan et Hobbs qui passent au travers des lignes allemandes et effectuent encore une belle poussée de plus de 4 km. Au total, les hommes de Currie ont créé une hernie de 12 km dans les lignes allemandes. Elles sont imitées sur leur droite par la 4th Australian Division de Watson. Monash et Currie décident alors de faire intervenir respectivement les Mark V des 5th et 4th Tank Brigades mais leurs divisions de tête n’ont pas besoin du soutien blindé pour s’enfoncer davantage dans les lignes de la IV. Armee allemande. A 11h00, Canadiens et Australiens ont encore avancé de 4,8 km sur une ligne de 24 km. A la fin de la journée, Harbonnières et Beaucourt-en-Santerre sont reconquis.

– Simultanément, appuyées par plusieurs éléments de la 33rd US Infantry Division, les 18th et 58th Divisions du IIIrd Corps de Richard Butler bousculent les positions allemandes derrière la rive droite de la Somme. Malgré un terrain plus difficile et le soutien du seul 10th Tank Battalion, les unités de Butler parviennent à accrocher l’éperon de Chipilly qui est en fait une crête boisée.

– Du côté de la Ire Armée Française de Debeney, les affaires vont bien. Disposant de moins de moyens, le Général français démarre son attaque à 04h15 contre les positions de la XVIII. Armee d’Oskar von Hutier. Cette superbe grande unité de mars 1918, dirigée par l’un des meilleurs généraux allemands de l’époque, a perdu beaucoup de ses capacités de combat et ne va pas résister de façon vigoureuse. Bénéficiant de moins de moyens que son collègue anglais, Marie-Eugène Debeney n’effectue qu’une préparation d’artillerie que de 45 minutes.

A 05h00, les divisions de tête de la Ire Armée s’élancent à l’assaut. Debeney a préféré d’abord confié la première poussée à ses fantassins afin de conquérir le terrain favorable aux chars avant de les engager. L’effort principal s’effectue sur l’aile gauche, à savoir dans le secteur atribué au XXXIe Corps de Toulorge qui a pour mission de progresser vers Andechy où se trouve la jointure des IV. et XVIII. Armee allemandes.
Progressant à la gauche des Canadiens le long de la Luce, la 37e DI de Simon progresse vers Hailles atteint le Bois de Sénécat par la gauche. Sur sa droite, la 66e DI de Bissaud-Desmaillet épaulée par des Bataillons de Chasseurs à Pied, progresse vers Morisel son objectif, pour dépasser le Bois de Sénécat par la droite. Après une progression de près de 8 km, elle conquiert Morisel et Moreil par une attaque en tenaille.
De son côté, la 42e DI de Deville combat pour s’emparer des Bois de Moreuil et de Mézières. En fin de journée, elle a dépassé Neville-Sire-Bernard et conquis Villers-aux-Erables.

– Du côté, du IXe Corps de Garnier-Duplessix (centre français), la 3e DI de Nayral-Martin de Bourgon poursuit son avance vers l’Avre. Elle est imitée dans son effort par les Tirailleurs d’Afrique de la 15e Division d’Infanterie Coloniale de Guérin qui pousse vers Montididier.
Toujours au centre, le Xe Corps de Vandeburg, avec les 60e, 152e DI et 166e DI, effectue lui aussi une poussée de plusieurs kilomètres sur l’Avre ver Givresnes et Beuvraignes.
Les troupes de Debeney ne doivent affronter que quelques îlots de résistance ennemie. Les premières lignes allemandes sont assez facilement enlevées et à la fin de la journée, une percée de 8 km est effectuée.

– Pour la seule journée du 8 août, Français et troupes du Commonwealth ont capturé 16 000 Allemands, pendant que 14 000 autres environ ont été tués et blessés. Cette incontestable victoire assure alors aux alliés le dégagement définitif d’Amiens et de la route menant à Paris. Foch, va alors pouvoir ordonner à Fayolle de coordonner une contre-offensive pour dégager Compiègne. Lorsque Ludendorf reçoit les rapports du Kronprinz Ruprecht comme de von der Marwitz et von Hutier, il est catastrophé. Le front sur la Somme et l’Avre menace de rompre et une percée franco-britannique est fortement envisageable. Plus grave encore, von der Marwitz et von Hutier n’ont que peu de réserves à engager. Ludendorf prend alors une décision qui va infléchir la suite des opérations : il choisit de ponctionner des divisions aux IV. et VI. Armeen commandées respectivement par Bernhardt Sixt von Arnim et Ferdinand von Quast qui tiennent le front de la Lys entre La Bassée et Ypres. Dégonffler les effectifs de ces deux Grandes Unités impliquent alors d’abandonner le saillant de Merville qui sera immédiatement reconquis par les IInd et Vth British Armies commandées par Herbert Plumer et William Birdwood.

Mais laissons le mot de conclusion à Ludendorf pour cette journée car il résume tout : « Le 8 août est le jour de deuil de l’armée allemande dans l’histoire de cette guerre. Je ne vécus pas d’heures plus pénibles… Au matin, par un brouillard épais rendu encore plus opaque par l’émission de brouillard artificiel, les Anglais, principalement des divisions australiennes et canadiennes, et les Français attaquèrent avec de fortes escadres de chars d’assaut… Les divisions qui tenaient ce point se laissèrent complètement enfoncer. Des chars ennemis surprirent, dans leurs quartiers généraux, des états-majors de divisions… Six ou sept divisions allemandes qu’on pouvait considérer comme particulièrement en état de se battre furent complètement mises en pièces… La situation était extrêmement grave… Nos réserves diminuaient. Par contre, l’ennemi n’avait subi qu’une dépense de forces très minime. Le rapport des forces avait considérablement changé à notre désavantage… »