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31 juillet 1914 : Assassinat de Jean Jaurès

Chers lecteurs, chères lectrices, il est bien entendu que nous laissons ici la séquence hommage à Jean Jaurès aux personnalités politiques comme à certains médias. Nous nous contenterons de décrire l’événement et de le contextualiser.
Merci

Le vendredi 31 juillet, le Gouvernement de René Viviani se voit remettre l’ultimatum allemand des mains de l’ambassadeur von Schön rédigé par le Chancelier Theobald von Bethmann-Hollwegg. Jaurès qui soutient le radical-socialiste Viviani qu’il juge hostile à la guerre (Viviani a notamment fait reculer l’Armée de dix kilomètres en amont de la frontière franco-allemand) souhaite s’entretenir avec René Viviani. Il l’a fait la veille (30 juillet) lui implorant de ne rien tenter contre l’Allemagne. Sans résultat
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Le 31 donc, apprenant que Nicolas II vient de décréter la mobilisation générale en Russie, le tribun socialiste accourt à la Chambre (Palais Bourbon), où il apprend que Guillaume II vient lui aussi de décréter l’Etat de Guerre en Allemagne. Ce qui n’est pas sans renforcer son pessimisme.

Jaurès demande alors à s’entretenir avec René Viviani mais celui-ci est en entretien urgent avec ses ministres et des hauts-officiers pour adresser la réponse à l’ultimatum allemand. Assisté de son proche collaborateur Pierre Renaudel, Jaurès rencontre néanmoins Abel Ferry* Sous-Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères sur le coup de 20h00 pour un entretien de moins d’une heure. D’après Renaudel, Jaurès aurait menacé de dénoncer « les ministres à la tête folle » si la guerre était déclarée contre l’Allemagne. Voulant alors détendre l’atmosphère écrasante, toujours selon Renaudel, Ferry aurait lancé à Jaurès cette boutade sans hostilité aucune : « Mon pauvre Jaurès, mais on vous tuera au premier coin de rue ! ». Parole prémonitoire ?

Peu après 21h00, Jaurès et Renaudel quittent la Chambre. Jaurès s’entretient un instant avec Philippe Landrieu administrateur de son journal « L’Humanité », ainsi que d’autres proches collaborateurs : Jean Longuet, Ernest Poisson et son épouse, Amédée Dunois, Duc-Quercy, Daniel Renoult, André Renoult, Georges Weil et Maurice Bertre. Après un cours entretien, ils décident d’aller dîner pour parler des prochains articles de « L’Humanité » qui paraîtra le lendemain.

Le petit groupe décide d’aller dîner au « Café du Croissant », 142 rue Montmartre. Peu après 21h00, chacun s’installe à une table près d’un brise-bise caché par un rideau. Jaurès se trouve tout près de la fenêtre. C’est à ce moment que passe Raoul Villain. Qui est-il ?
Raoul Villain, né à Reims, étudiant à l’Ecole du Louvre, est un exalté, férocement patriote qui a pris Jaurès en haine. Pour lui, les appels à la paix du chef socialiste sont assimilés à de la trahison. Villain est aussi membre des « Amis de l’Alsace-Lorraine », association nationaliste qui prêche pour la guerre et proche de « l’Action française ».

A 21h15, armé d’un revolver Smith & Wesson, Villain aperçoit Jaurès qui tient conseil. Il n’hésite pas, avance au « Café du Croissant », soulève le rideau recouvrant le brise-bise et tire deux coups de feu. Jaurès s’écroule touché à la tempe. La seconde balle vient se loger dans un pan de mur. Dans l’établissement, c’est le choc, Renaudel couche Jaurès sur une table pendant que l’on appelle un médecin. Mais le tribun socialiste est bien mort.
Dehors, Villain est arrêté par des gendarmes sans chercher à s’enfuir. Il sera jugé en 1919 et acquitté sur l’argument de la démence.

La mort de Jaurès provoque un électrochoc dans l’opinion de gauche. Un instant, le Gouvernement craint un soulèvement ouvrier mais il n’en est rien. Les militants et sympathisants socialistes sont trop choqués et ne songent pas à déclencher des manifestations et des grèves. Du coup, Louis Malvy Ministre de l’Intérieur annonce renoncer à utiliser le « Carnet B » qui recensait toute personne susceptible de déclencher des troubles à l’ordre public en cas de déclaration de guerre.

Raoul Villain

Raoul Villain

On observe aussi, un retournement de l’opinion socialiste qui se rallie définitivement à la guerre contre l’Allemagne, érigeant Jaurès en victime du militarisme allemand. Ainsi, le 1er août même, Edouard Vaillant en appelle à « l’Union sacrée » et ira même jusqu’à donner l’accolade au catholique-social Albert de Mun. Dans le très anarchisant « La Guerre Sociale », Gustave Hervé écrit : « Ils ont assassiné Jaurès, nous n’assassinerons pas la France ».
Enfin, aux obsèques de Jaurès qui se déroulent le 4 août Avenue Henri-Martin, Léon Jouhaux Secrétaire Général de la CGT fustige dans son éloge funèbre, le militarisme et le capitalisme bourgeois mais déclare solennel : « face à la guerre, la Classe ouvrière fera son devoir ».

Cela amène à traiter du débat historiographique sur l’attitude de Jean Jaurès face à la guerre. La question principale est : Jaurès aurait-il pu éviter la guerre ? Comme le signale Laurent Henninger dans « Guerres & Histoire », il faut poser cette question : « Jaurès avait-il une emprise sur les chancelleries et les Etats-Majors européens ». La réponse est non.
Ce qui faisait sa force était sa grande capacité à mobiliser des foules. Pour lui, comme pour plusieurs dirigeants socialistes européens, le meilleur moyen d’éviter le recours à la guerre était une grève générale dans chaque pays pour pousser les dirigeants à reculer.

Cela amène à traiter du débat historiographique sur l’attitude de Jean Jaurès face à la guerre. La question principale est : Jaurès aurait-il pu éviter la guerre ? Comme le signale Laurent Henninger dans « Guerres & Histoire », il faut poser cette question : « Jaurès avait-il une emprise sur les chancelleries et les Etats-Majors européens ». La réponse est non.
Ce qui faisait sa force était sa grande capacité à mobiliser des foules. Pour lui, comme pour plusieurs dirigeants socialistes européens, le meilleur moyen d’éviter le recours à la guerre était une grève générale dans chaque pays pour pousser les dirigeants à reculer.

Ainsi, lors du Congrés de la IInde Internationale Socialiste, Jaurès et Rosa Luxemburg sont acclamés par les différents délégués au Cirque Royal de Bruxelles. Le Français et son homologue allemand Hugo Haase, coprésident des Sociaux-Démocrates allemands se déclarent optimistes quant à la capacité des peuples à éviter à l’Europe de tomber dans la guerre.

Certes, mais c’est aller vite en besogne et oublier plusieurs points importants qui font la faiblesse de l’Internationale Socialiste.

Premièrement, la différence de culture politique entre Socialistes français et Sociaux-Démocrates allemands, voire même anglais. Si les Français ont une plus grande tradition révolutionnaire, les Sociaux-Démocrates allemands sont davantage adepte de la confrontation-négociation, ce que Jaurès leur reproche bien. Et si le SPD – en particulier son aile droite – rechigne à lancer de grandes grèves en Allemagne, c’est parce qu’il craint de saborder tout l’édifice social édifié depuis Bismarck au profit des milieux ouvriers outre-Rhin. S’ils sont évidemment attachés à la paix, les socialistes allemands n’en sont pas moins légalistes pour autant.

En effet, Jaurès même a critiqué Marx qui déclarait « le prolétaire n’a pas de Patrie ». Ce à quoi, il opposa l’idée suivante : « le Socialisme (…) ne déserte pas la patrie ; il se sert de la patrie elle-même pour la transformer et pour l’agrandir. L’internationalisme abstrait et anarchisant qui ferait fi des conditions de lutte, d’action, d’évolution de chaque groupement historique ne serait plus qu’une Icarie, plus factice encore que l’autre et plus démodée.

Il n’y a que trois manières d’échapper à la patrie, à la loi des patries. Ou bien il faut dissoudre chaque groupement historique en groupements minuscules, sans liens entre eux, sans ressouvenir et sans idée d’unité. Ce serait une réaction inepte et impossible, à laquelle d’ailleurs, aucun révolutionnaire n’a songé ; car, ceux-là mêmes qui veulent remplacer l’Etat centralisé par une fédération, ou des communes ou des groupes professionnels, transforment la patrie ; ils ne la suppriment pas » (« L’Armée Nouvelle », 1911).

Ainsi, l’imprégnation du patriotisme dans les grands partis socialistes européens apparaît clairement à la veille de la Grande Guerre en dépit des efforts pour l’éviter. Et lorsque le 4 août, les Sociaux-Démocrates votent les crédits en faveur de la Kaisersheer à l’entrée en guerre de l’Allemagne, les responsables et députés de la SFIO ne se font plus d’illusion et rejoignent « l’Union Sacrée ». Preuve en est que plusieurs socialistes seront membres du gouvernement (Malvy, Jules Guesde et Albert Thomas notamment), a contrario des partis de droite qui en auront que très peu durant le conflit.
Quelle aurait été l’attitude de Jaurès lors de l’entrée de la France en Guerre, la même que celle de son collègue Vaillant, probablement.

* Neveu de Jules Ferry