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La Bataille des Vosges (1944) – Seconde partie

2 – OPÉRATION « DOGFACE » : L’ASSAUT DU VIth US CORPS

 1 – Le nettoyage de la partie nord de la Forêt de Champ

– Devers, Patch et Brooks sont tous trois d’accord pour atteindre la Meurthe et Saint-Dié le plus vite possible. L’assaut du VIth US Corps (nom de code « Dogface ») démarre le 23 octobre. La 45th Infantry Division d’Eagles ouvre la danse et traversant la Mortagne durant la matinée. En dépit d’une certaine résistance, le 180th Infantry Regiment du Colonel Robert L. Dulaney franchit la rivière aux prix de 100 hommes perdus sur le coup de 07h45 et s’enfonce de moins d’un km dans la Forêt de Rambervillers. Le 180th Infantry est aussitôt suivi par le 179th Infantry du Lt.Col. Preston G. Murphy. Le 25 octobre, plusieurs patrouilles de l’aile droite de la 45th Division rencontrent des éléments du flanc gauche de la 36th Division. Les deux régiments de tête d’Eagles obliquent alors vers le Nord en nettoyant la forêt de Rambervillers des quelques éléments de la 16. Volks-Grenadier-Division qui s’y trouvent.

– Le 25, le 157th Infantry du Colonel Walter P. O’Brien se joint à l’attaque en traversant la Mortagne à Autry avant d’avancer vers le nord-est et permettant au 120th Combat Engineer Battalion d’établir un pont de 40 tonnes sur la rivière.
Durant la journée du 26 octobre, la 45th Division s’enfonce dangereusement dans la charnière des 16. VGD (nord) et 21. PzDiv. (sud) et en coopération avec les 3rd et 36th Division, entame l’isolement de la 16. VGD d’Ernst Häckel au centre de l’attaque américaine.

– Sur le flanc sud de la 45th Division, la 3rd « Rock of the Marne » entame son avance le 23 vers Les Rouges-Eaux, le long de la N-420, avec le 15th Infantry Regiment du Lt.Col. Hallett D. Edson au nord et le 7th Infantry du Colonel Ben Harrell au sud.  Progressant dans un terrain difficile, les « Dogface soldiers » de John W. O’Daniel doivent combattre durement pour dégager un point fortifié allemand dans la Forêt de Champ, à l’est de la D-7. Pendant ce temps, parti du secteur du Tholy, le 30th Infantry du Colonel Lionel G. McGarr rejoint le reste de la Division le 25. Placé juste derrière le 15th Infantry, le 3/30th contourne le point fort allemand et coupe la D-7 et progresse de 1,3 km environ dans les sentiers boisés. Pendant ce temps, le Colonel McGarr envoie ses deux autres bataillons dans la brèche sur le flanc droit de la 16. VGD. Profitant alors de son avantage, McGarr envoie l’un de ses bataillons au nord de la D-32, tandis que les deux autres avancent rapidement vers le Bois Magdeleine.
Mais si le 30th Infantry avance rapidement, le 7th Infantry de Harrell rencontrent une plusi vive résistance le long de la N-420 et se retrouve stoppé quelques kilomètres au nord des Rouges-Eaux défendu par le Grenadier-Regiment 933 de la 338. GrenDiv.

Major.General Edward H. Brooks

Major.General Edward H. Brooks

Insigne de la 45e Division d'Infanterie Américaine

Insigne de la 45e Division d’Infanterie Américaine

William W. Eagles

William W. Eagles


– Ceci dit, l’avance soudaine du VIth US Corps surprend complètement les allemands, menaçant de séparer le LXXXIX. Armee-Korps de Werner Freiherr von Gilsa au nord du LXIV. AK de Lasch au sud. Hermann Balck et Friedrich Wiese tentent alors de remédier à cette situation difficile. Pendant la nuit du 23-24 octobre, le commandant de la 19. Armee ponctionne le Grenadier-Regiment 933 dans le secteur du IV. Luftwaffe-Feld-Korps pour boucher le trou entre la 16. VGD (LXXXIX. AK) et la 716. Infanterie-Division d’Ernst von Bauer. Mais lorsque l’avance américaine vient à élargir encore d’avantage la brèche entre les LXXXIX et LXIV. AK, Wiese n’a d’autre choix que d’y expédier l’Aufklärungs-Abteilung 602 (reconnaissance), ainsi que les Heeres-Gebirgs-JÄger-Bataillonen 201 et 202 depuis Saint-Dié. Ces unités viennent alors renforcer la défense sur la N-420 et la Forêt Domaniale de Champ. Il y a urgence, car la 16. VGD – déjà mal en point depuis le mois de septembre – menace de s’écrouler. Et la seule force d’opposition encore bien constituée, la 106. Panzer-Brigade de Bäcke basée alors au nord de la Forêt de Rambervillers. Mais Wiese est réticent à envoyer l’unité en soutient direct des 16. VGS et 21. PzD, préférant plutôt la maintenir en réserve tactique si les Américains atteignent la Meurthe via  les D-7 et D-32.

– Pour l’heure, la pression du VIth Corps s’accentue encore sur les éléments de la 19. Armee. Le 27 octobre, les 157th et 179th Infantry Regiments poussent leur effort vers le nord-est et l’est (1,3 km). Le 157th maintient son contrôle de la D-32 pendant que le 179th avance vers La Bourgonce. Le 28, le 180th Infantry se positionne le long de la N-59A et les trois Régiments traversent la D-32 pour foncer vers Raon-l’Etape. Même si les hommes d’Eagle rencontre une résistance acharnée ici et là, ils sont bientôt victime de leur succès puisque la logistique divisionnaire ne peut que suivre lentement dans les chemins forestiers transformés en bourbier par les pluies d’automne.

– Cependant, Wiese replie la 21. PzD sur Rambervillers et la 16. VGD près de la Bourgonce. Le commandant de la 19. Armee décide alors de sortir la 716. ID de son secteur calme au sud-ouest de Bruyères pour l’envoyer au nord combler le vide entre les 21. PzD et 16. VGD. Il décide en outre de raccourcir son périmètre défensif sur l’ensemble de la Forêt Domaniale de Champ (La Bourgonce, le Col du Haut-Jacques, Les Rouges-Eaux) et jusqu’à Biffontaine, afin d’interdire le passage de la Meurthe et l’accès de Saint-Dié aux divisions de Brooks. Il ordonne aussi à la 21. PzD et à la 106. PzBrig de retirer leurs éléments blindés à l’arrière pour servir de réserve tactique. Cette décision est d’autant plus sage que les contreforts vosgiens et les monts culminant à partir de 650 m ne se prêtent guère à l’emploi des chars. Seulement, les décisions de Wiese arrivent trop tard pour sauver la situation de la 16. VGD de Häckel. En effet, le 30th Infantry Regiment de McGarr s’est déjà enfoncé profondément dans le Bois Magdeleine, amenuisant les chances de la 16. VGD d’établir une solide ligne de défense. Pire encore, von Gilsa et Wiese manquent cruellement d’informations sur la situation de la division.

Insigne de la 3e Division d'Infanterie Américaine "Rock of the Marne"

Insigne de la 3e Division d’Infanterie Américaine « Rock of the Marne »

John W. "Iron Mike" O'Daniel

John W. « Iron Mike » O’Daniel

– N’ayant cure des soucis de Friedrich Wiese, le Major.General William W. Eagles planifie une rapide percée de la Forêt de Ramberviller. Sur la gauche de la Division, le 117th Cavalry Squadron avance à quelques distances au nord-est de Rambervillers sans rencontrer d’opposition mais la sécurisation du flanc de la 45th « Thunderbird » l’empêche d’avancer trop vite. Cependant, le mouvement des trois régiments d’Eagles est soigneusement mesuré mais l’avance de la division reste sûre. Le 180th Infantry de Dulaney traverse la D-32 le 30 octobre après être venu au bout d’une forte résistance ennemie et atteint la N-59A. Au centre, le 157th Infantry d’O’Brien marche pendant plusieurs kilomètres au nord de la D-32 sur le plateau dominant la Bourgonce, devant ainsi le 15th Infantry de la 3rd Division qui connaît une avance plus lente.

– Au centre, la 3rd Division progresse plus difficilement vers Saint-Dié. Ainsi, le 15th Infantry d’Edson passe toute la journée du 27 octobre à nettoyer le tronçon de la D-7 dans le secteur de La Bourgonce pour relever les unités du 30th Infantry le 30. Mais un groupe mixte de la 716. ID s’en prend par surprise au flanc sud de La Bourgonce, capturant et tuant quelques soldats du 141st Field Artillery Battalion. Mais l’intervention des 15th  et 30th Infantry, aidés par des éléments du 7th Infantry repousse les assaillants. Dans les jours qui suivent, les régiments américains doivent repousser des infiltrations d’éléments du Heeres-Gebirgs-Jäger-Bataillone 201. La situation est beaucoup plus difficile pour le 7th Infantry du Colonel Harrell.
Pendant une semaine de violents combats, le Régiment ne parvient pas à dégager la N-420 et atteindre le sud du Col du Haut-Jacques. Toutefois, le 30th Infantry réussit à consolider ses positions dans le Bois Magdeleine le 28 octobre et peut envoyer plusieurs de ses éléments à l’est de la Cote 616 qui domine le Col du Haut-Jacques. Mais celle-ci est transformée en bastion par l’ennemi, contraignant Eagles et O’Daniel à demander l’assistance de la 36th Division de Dahlquist.

Soldats "Nisei" au repos

Soldats « Nisei » au repos

2 – Bruyères : le « Bataillon perdu » et la gloire sanglante des « Nisei »

– Pendant que les 3rd et 45th Infantry Divisions progressent vers Raon-l’Etape et Saint-Dié, les soldats texans et de l’Oklahoma de la 36th Infantry Division sont chargés de nettoyer la partie sud de la Forêt Domaniale de Champ et la Forêt de Belmont-les-Poulières, tenu par des éléments de la 338. GrenDiv. On y trouve les monts gréseux nommés Vieille Corre, Het, Tête de Chétimont et Tête de Louvière.

– Dès le 18 octobre, la 36th Infantry Division investit le Massif de Faîte et investit la ville de Bruyères par le nord-ouest et le sud-est, ramassant 143 prisonniers environ. Ils ont la surprise d’y trouver, outre des Polonais et des Yougoslaves, quelques Indiens de la SS-Freiwillige-Legion « Freies Indien ». Toutefois, Bruyères n’est pas entièrement sécurisée car les Allemands contrôlent les sommets de Buémont (Cote A) et Pointhaie (Cote C). Le 23 octobre les AJA ou « Nisei » du 100/442nd RCT du Colonel Virgil R. Miller s’enfonce de quelques kilomètres dans la Forêt de Bruyères et s’empare de Biffontaine par le sud, tout en s’emparant des Cotes C et D, toujours menacées par les tirs allemands. Mais dans la nuit du 19, la Cote D est aux mains des soldats américano-japonais. Mais Dahlquist ordonne aux 1 et 2/442nd RCT de prendre une voie de chemin de fer sans nettoyer les abords de la Cote D. Les Allemands en profitent et reprennent ce sommet le 20 octobre et la Colline C. Miller envoie alors les anciens de Cassino du 100th Battalion reprendre la Cote C. La mission est remplie aux prix d’un furieux engagement qui coûte 100 hommes aux Nisei. Mais suite à une nouvelle contre-attaque allemande, le 100th Battalion se retrouve encerclé une fois de plus à l’est de Biffontaine le 24 octobre. Il est heureusement dégagé par l’intervention 3/442nd qui permet de sécuriser définitivement le village.

Insigne de la 36e Division d'Infanterie Américaine

Insigne de la 36e Division d’Infanterie Américaine

John E. Dahlquist

John E. Dahlquist

– Simultanément, en dépit des réserves émises par son état-major et ses Colonels, John E. Dahlquist ordonne au 141st Infanty Regiment du Colonel Carl E. Lundquist de nettoyer les Cotes 624 et 625 au sud-est de Biffontaine, afin d’ouvrir l’accès vers Saint-Dié. Mais les officiers du 141st Infantry ne disposent pas de cartes d’état-major détaillées et les quatre compagnies du 1st Battalion s’égarent sur la Cote 645 et se retrouvent pris sous le feu de 700 Grenadiere du Gren.Regt. 933. Le 24 octobre, après un violent tir de barrage, les Allemands lancent une contre-attaque dans les secteurs des Cotes 624 et 625 et isolent le 1/141st que l’on surnomme bientôt le « Lost Battalion » (le « bataillon perdu »), même s’il peut toujours communiquer par radio avec le reste de la Division. Mais 241 autres hommes de la même unité résistent sur la Cote 645. Très vite la presse de guerre américaine en relaie l’histoire qui fait l’objet d’une intervention de Sénateurs qui en réclament le dégagement. Mais il semble que les Allemands n’aient pas eu conscience de la situation du 1/141st en raison de l’épaisseur des bois et du terrain.

– Le 25 octobre, le 2/141st réussit à atteindre de haute-lutte la Cote 645 et y dégage les quelques 200 rescapés du 1/141st. Au nord, le 3/141st tente de chasser les Allemands des Cotes 624 et 625 mais il est lui aussi bloqué par une forte résistance. Du côté du « Lost Battalion », 36 hommes essaient de rallier les lignes de la 36th Division mais il tombe dans une embuscade et seulement 5 soldats réussissent à atteindre la Cote 645. Sans reconnaître sa décision hâtive, Dahlquist décide de relever le Colonel Lundquist par son chef d’état-major, le Colonel Charles H. Owens.

– Dahlquist décide alors d’envoyer le 442nd RCT de Miller à la rescousse. Bien que fatigués par neuf jours de combats, les « Nisei » repartent au front. Pendant ce temps, le commandant du « Lost Battalion » demandent d’effectuer une sortie en force. Dahlquist reguse.
Le 28 octobre, les courageux américano-japonais s’élancent à l’assaut dans les bois et dans un brouillard à couper au couteau. Les combats sont durs et les Nisei ne progressent que lentement contre le Heeres-Gebirgs-Jäger-Bataillone 202. Mais ils réussissent à capturer 90 soldats de cette unité, dont le commandant même. Le 29 octobre, des P-47 du 371st Fighter Bomber Group (Colonel Bingham T. Kleine) parachutent des munitions, des batteries de radio, des médicaments et des rations-K au « Bataillon perdu ».

Insigne du 442nd RCT

Insigne du 442nd RCT

– Du 29 au 30 octobre, le 442nd RCT bataille encore très durement en accusant de lourdes pertes pour dégager le bataillon perdu. Le 30, les Nisei sont à 900 m des 230 derniers soldats du 1/141st alors bloqué sur le flanc de la Colline du Trappin. Le 30 octobre, les Americano-japonais délivrent enfin les derniers soldats du « Bataillon perdu ». Mais Virgil R. Miller doit amèrement faire le décompte de son unité ; 800 hommes sur 4 400 ont été tués ou blessés (soit 1 pour 5.5). Ceci-dit, Dahlquist lui ordonne de sécuriser la Forêt de Bruyères. Neuf jours de combats lui sont encore nécessaires avant d’être relevé par le 143rd Infantry du Colonel Paul D. Adams. La situation est pire du côté du 141st Infantry. Son 1st Battalion ne compte plus que 490 hommes sur les 800 réglementaires et 600 autres hommes doivent être renvoyés à l’arrière.

– La rancune envers Dahlquist et son commandement expéditif sera longtemps tenace parmi les hommes du 442nd RCT, y compris de la part du Colonel Miller. L’épisode du passage en revue est connu. Dahlquist demande à Miller de rassembler son unité pour la féliciter. Alors, sous la neige et devant les caméras des correspondants de guerre, Miller fait aligner ses Nisei en laissant volontairement les rangs des tués et blessés inoccupés. Furieux devant ce qu’il croît être de l’indiscipline, Dahlquist sermonne Miller :
« – Colonel, je vous ai demandé de réunir tout votre régiment, où est-il ? » Tentant de contenir ses larmes, Miller répond sèchement à son supérieur :
Mon Général, voilà TOUT CE QUI RESTE de mon régiment ».

– Le 100/442nd RCT sera placée en repos durant le mois de novembre. Il quittera les Vosges début 1945 pour rejoindre le Front Italien où il se distinguera encore. Il reste aujourd’hui l’unité la plus titrée en Purple Hearts de l’US Army.

– Du côté du VIth Corps, Brooks doit alors reconnaître que la percée dans les Vosges va s’avérer beaucoup plus difficile en raison du mauvais temps et des difficultés du terrain.

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