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Charles Péguy: « L’espérance, cette petite fille de rien du tout… »

Le « Porche du mystère de la deuxième vertu » (1912) ou l’hymne à l’espérance d’un amoureux de notre beau pays...

« Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.
Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle.

Car mes trois vertus, dit Dieu.
Les trois vertus mes créatures.
Mes filles mes enfants.
Sont elles-mêmes comme mes autres créatures.
De la race des hommes.
La Foi est une Épouse fidèle.
La Charité est une Mère.
Une mère ardente, pleine de cœur.
Ou une sœur aînée qui est comme une mère.
L’Espérance est une petite fille de rien du tout.
Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière.
Qui joue encore avec le bonhomme Janvier.
Avec ses petits sapins en bois d’Allemagne couverts de givre peint.
Et avec son bœuf et son âne en bois d’Allemagne.
Peints.
Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne
mangent pas.
Puisqu’elles sont en bois.
C’est cette petite fille pourtant qui traversera les
mondes.
Cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversera les
mondes révolus.
Comme l’étoile a conduit les trois rois du fin fond
de l’Orient.
Vers le berceau de mon fils.
Ainsi une flamme tremblante.
Elle seule conduira les Vertus et le Mondes.
Une flamme percera des ténèbres éternelles.
Le prêtre dit.
Ministre de Dieu le prêtre dit :
Quelles sont les trois vertus théologales ?
L’enfant répond
Les trois vertus théologales sont la Foi, l’Espérance et
la Charité.
– Pourquoi la Foi, l’Espérance et la Charité sont-
elles appelées vertus théologales ?
– La Foi, l’Espérance et la Charité sont appelées
vertus théologales parce qu’elles se rapportent
immédiatement à Dieu.
– Qu’est-ce que l’Espérance ?
– L’Espérance est une vertu surnaturelle par laquelle
nous attendons de Dieu, avec confiance, sa grâce en
ce monde et la gloire éternelle dans l’autre.
– Faites un acte d’Espérance.
La foi va de soi. La foi marche toute seule. Pour
croire il n’y a qu’à se laisser aller, il n’y a qu’à
regarder. Pour ne pas croire il faudrait se vio-
-lenter, se torturer, se tourmenter, se contrarier.
Se raidir. Se prendre à l’envers, se mettre à l’en-
-vers, se remonter. La foi est toute naturelle, toute
allante, toute simple, toute venante. Toute bonne
venante. Toute belle allante. C’est une bonne
femme que l’on connaît, une vieille bonne
femme, une bonne vieille paroissienne, une
bonne femme de la paroisse, une vieille grand-
-mère, une bonne paroissienne. Elle nous raconte
les histoires de l’ancien temps, qui sont arrivées
dans l’ancien temps.
Pour ne pas croire, mon enfant, il faudrait
se boucher les yeux et les oreilles. Pour ne pas voir,
pour ne pas croire.
La charité va malheureusement de soi. La charité
marche toute seule. Pour aimer son prochain il
n’y a qu’à se laisser aller, il n’y a qu’à regarder
tant de détresse. Pour ne pas aimer son prochain
il faudrait se violenter, se torturer, se
tourmenter, se contrarier. Sa raidir. Se faire
mal. Se dénaturer, se prendre à l’envers, se
mettre à l’envers. Se remonter. La charité est
toute naturelle, toute jaillissante, toute simple,
toute bonne venante. C’est le premier mouve-
-ment du cœur. C’est le premier mouvement qui
est le bon. La charité est une mère et une sœur.
Pour ne pas aimer son prochain, mon enfant, il
faudrait se boucher les yeux et les oreilles.
À tant de cris de détresse.
Mais l’espérance ne va pas de soi. L’espérance ne
va pas toute seule. Pour espérer, mon enfant, il
faut être bien heureux, il faut avoir obtenu,
reçu une grande grâce.
C’est la foi qui est facile et de ne pas croire qui se-
rait impossible. C’est la charité qui est facile et
de ne pas aimer qui serait impossible. Mais c’est
d’espérer qui est difficile.
à voix basse et honteusement
Et le facile et la pente est de désespérer et c’est la
grande tentation.
La petite espérance s’avance entre ses deux gran-
des sœurs et on ne prend pas seulement garde à
elle.
Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur
le chemin raboteux du salut, sur la route inter-
minable, sur la route entre ses deux sœurs la
petite espérance
S’avance.
Entre ses deux grandes sœurs.
Celle qui est mariée.
Et celle qui est mère.
Et l’on n’a d’attention, le peuple chrétien n’a d’attention que pour les deux grandes sœurs.
La première et la dernière.
Qui vont au plus pressé.
Au temps présent.
À l’instant momentané qui passe.
Le peuple chrétien ne voit que les deux grandes sœurs, n’a de regard que pour les deux grandes sœurs.
Celle qui est à droite et celle qui est à gauche.
Et il ne voit quasiment pas celle qui est au milieu.
La petite, celle qui va encore à l’école.
Et qui marche.
Perdue entre les jupes de ses sœurs.
Et il croit volontiers que ce sont les deux grandes qui traînent la petite par la main.
Au milieu.
Entre les deux.
Pour lui faire faire ce chemin raboteux du salut.
Les aveugles qui ne voient pas au contraire.
Que c’est elle au milieu qui entraîne ses grandes sœurs.
Et que sans elle elles ne seraient rien.
Que deux femmes déjà âgées.
Deux femmes d’un certain âge.
Fripées par la vie.
C’est elle, cette petite, qui entraîne tout.
Car la Foi ne voit que ce qui est.
Et elle elle voit ce qui sera.
La Charité n’aime que ce qui est.
Et elle elle aime ce qui sera.
La Foi voit ce qui est.
Dans le Temps et dans l’Éternité.
L’Espérance voit ce qui sera.
Dans le temps et dans l’éternité.
Pour ainsi dire le futur de l’éternité même. (…)