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Chroniques de la Bataille de Normandie – 32/ Mortain (Première partie)

Avec la réussite de Cobra et de la Percée d’Avranches, les forces allemandes du Heeres-Gruppe B de Hans Günther von Kluge voient tout leur flanc gauche (sud) débordé par la IIIrd US Army de Patton qui chevauche littéralement vers la Seine, tout en subissant la pression de l’aile gauche (est) de la Ist US Army de Hodges qui s’est déjà emparée de Vire, de Tinchebray et de Mortain entre le 1er et le 3 août.

Mortain-081 – LA PRISE DE MORTAIN

– Faisons un bref retour en arrière. Le 1er août, le VIIth US Corps de Joseph L. Collins (avec le Combat Command A  de la 3rd Armored Division et les 1st, 4th et 9th US Division) force le cours de la Vire à Brécey, localité situé à environ une quinzaine de kilomètres d’Avranches. Collins ordonne alors à la 1st Division de Clarence R. Huebner d’attaquer Mortain par un mouvement tournant sur le flanc gauche allemand et s’emparer des hauteurs et des routes dans la région de Mortain. La 4th Division de Raymond O. Barton doit attaquer au sud depuis Villedieu-les-Poêles et Saint-Pois, tout en établissant le contact sur la Sée avec la 9th US Division d’Eddy qui doit attaquer en direction de Sourdeval

– Progressant dans un terrain particulièrement difficile mais usant d’une bonne coopération infanterie-chars et exploitant au mieux sa puissance de feu, Huebner réussit à bousculer les restes étrillés de la 275. Infanterie-Division de Schmidt et à s’emparer de Reffuveille, du Mesnil-Adelée, de Juvigny et de Saint-Barthélémy.
En outre, les quelques restes de la Panzer-Lehr qui couvrent la ligne Mortain-Barenton-Passais, ne peuvent empêcher des patrouilles américaines de s’infiltrer, permettant ainsi la 1st US Division de saisir Fougerolles-du-Plessis et Barenton.

– Le 3 août, les fantassins de la ‘Big Red One’ font leur entrer dans Mortain mais devant l’arrivée d’éléments blindés du Panzer-Aufklärungs-Abteilung 2 (2. PzD) du Major Bernhard von Schkopp, Huebner poste immédiatement des forces en position défensive sur le plateau dominant l’est de la ville.
Sauf que si Mortain est capturée plutôt facilement, le reste des opérations est beaucoup plus difficile. Ainsi la 84. Infanterie-Division, bien commandée par le Generalleutnant Erwin Menny, un vétéran de l’Afrikakorps, résiste avec ténacité à la 9th « Old Reliables » sur une ligne entre Saint-Pois et Vire. La 4th Division et le Combat Command B de la 3rd Armored Division qui doivent s’emparer de Chérencé-le-Roussel et de la Cote 211, connaissent eux aussi de sérieuses difficultés dans le secteur de Saint-Pois. face à  la 116. Panzer-Division.

– Barton lance alors une Task Force pour déborder Saint-Pois par l’ouest. La TF franchit alors la Sée à Cuves, environ 6 km à l’ouest de Chérencé-le-Roussel et y établit une tête de pont. Barton envoie alors le 12th Infantry Regiment de Luckett au nord-ouest de Saint-Pois pendant que sur la droite, le 8th Infantry de Rodwell doit s’emparer de la Cote 211. Si les GI’s réussissent à progresser, ils se heurtent aux tirs de barrage du Panzer-Artillerie-Regiment 116 de l’Oberstleutnant Hans von Rathelbeck.

– Le soir même, s’ils sont atteints, les objectifs de la 4th Division ne sont pas sécurisés. Si Barton décide d’abord d’arrêter là son attaque, il laisse une compagnie de fusiliers d’un bataillon du 8th Infantry attaquer la Cote 211 « par respect pour leur chef », le Lt.Col. Erasmus H. Strickland qui a été blessé quelques heures auparavant.
Et à l’aube du 5 août, la Cote 211 est prise.

– Pendant ce temps, après avoir dépensé 3 200 obus, usé trois tubes de Howitzer et forcé sa compagnie de mortiers de 4.2-inch à cracher pas moins de 3 000 obus, le 8th Infantry réussit à sécuriser les alentours de Saint-Pois qui restait aux mains d’une arrière-garde allemande, le reste de la 116. PzD s’étend replier plus à l’est.

– Passons enfin à la troisième force de Collins. Rassemblée près de Villebaudon, 9th US Division « Old Reliables » d’Eddy démarre son attaque vers le plateau au nord de Mortain, Saint-Sever-en-Calvados et la Sée. S’attendant à trouver des forces désorganisées elle a la mauvaise surprise de s’opposer à des Kampfgruppen aussi réduits qu’increvables des 352 et 353. ID, tout en devant progresser dans des secteurs abondamment minés. Malgré le ralentissement, Eddy réussit à pousser ses troupes jusqu’aux abords de Saint-Sever tenus par le LXXXIV. Armee-Korps commandé alors par le Generalleutnant Otto Elfeldt (qui a remplacé von Choltitz qui est alors en charge du Gross-Paris). Mais l’arrivée fraîche de la 394. Sturmgeschützt-Brigade de l’Hauptmann Tadje permet à Elfeldt de lancer une contre-attaque avec de fortes concentrations d’artillerie. Eddy doit encore s’arrêter.

– Toutefois, le 3 août, la 9th Division reprend de la vitesse et atteint la Sée en-dessous de Gathemo, ce qui permet de sécuriser définitivement le flanc de Collins. Expédiant l’un de ses régiments vers l’ouest à Brécey, Chérencé-le-Roussel et Gathemo, Eddy réussit à encercler le secteur compris entre Saint-Pois et Saint-Sever-en-Calvados le 4 août.
Le 5, le 39th Infantry du Lt.Col. Van H. Bond réussit à établir une tête de pont à Chérencé-le-Roussel avec l’appui de blindés avant d’attaquer vers le nord-est mais se fait bloquer par une forte résistance allemande. Toutefois, le 60th Infantry du Col. Jesse L. Gibney surgit par surprise de la Forêt de Saint-Sever et deux de ses bataillons atteignent le village de Champ-du-Boult, un peu moins de 2 kilomètres au nord de Gathemo. Seulement, une contre-attaque montée par la réserve de la 353. ID et le Fallschirmjäger-Regiment 6 repousse les GI’s du village… qui est repris le lendemain 6 août.

– Finalement, l’écroulement de la défense de Mortain force Hausser à retirer une partie de ses forces plus à l’est. Ainsi, le repli de la 2. PzD et de la 2. SS « Das Reich » laisse croire aux commandants américains que les Allemands se replient en nombre. Patton ordonne au XVth US Corps de Wade H. Haislip (qui compte la 2nde DB de Leclerc dans ses rangs) de démarrer son avance vers Laval et Le Mans pendant que Hodges ordonne à Collins de porter son VIIth Corps au sud afin de couvrir le flanc une du XVth.

Hans-Günther von Kluge, remplaçant de Rommel à la tête du Groupe d'Armées B

Hans-Günther von Kluge, remplaçant de Rommel à la tête du Groupe d’Armées B

2 – « LÜTTICH », UNE PLANIFICATION DANS LA HÂTE

– Pour von Kluge, Hitler et l’Oberkommando der Wehrmacht (que dirige le servile et fidèle Wilhelm Keitel) il y a dès lors deux options possibles ; la première qui reste la plus réaliste consiste à retirer la 7. Armee de Hausser (déjà très affaiblie) et la 5. Panzer-Armee d’Eberbach de la Normandie afin de constituer une grande ligne de défense cohérente qui s’étendrait de l’estuaire de la Seine jusqu’au massif jurassien et qui s’arc-boutterait le long des rives droites de la Seine et de la Loire.
La seconde, tout aussi ambitieuse que risquée, consiste à déclencher une contre-attaque mécanisée sur Mortain afin de crever la jointure entre le XIXth US Corps de Corlett (Ist Army) et le XVth US Corps de Haislip (IIIrd Army). Or, c’est cette solution que Hitler va retenir contre l’avis de plusieurs de ses généraux (von Kluge, Guderian en tête). Hitler compte profiter d’un effet de surprise certain car les Américains ne s’attendent pas à ce que les Allemands déclenchent une contre-attaque en Basse-Normandie.

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– Von Kluge a beau démontrer au Führer que ses forces sont considérablement affaiblies (tant au niveau des effectifs que du matériel, plusieurs Divisionen de la 7. Armee étant même rayées de la liste) que lancer une contre-attaque aussi hasardeuse et hâtivement planifiée est risqué au plus haut point. Mais l’avis du maître du IIIe Reich l’emporte une fois de plus et von Kluge doit se résoudre à obéir. L’opération est baptisée « Lüttich » (Liège) et doit démarrer le 6 août 1944.

Hans Freiherr von Funck

Hans Freiherr von Funck

– Décidée deux jours seulement auparavant, « Lüttich » conduit von Kluge à monter un plan offensif dans une grande précipitation et toujours sous le contrôle de l’OKW, donc de Hitler. Il peut déjà compter sur l’arrivée en toute urgence du LXXXI. Armee-Korps du General der Panzertruppen Adolf Kuntzen qui se rassemble à l’est d’Alençon. Von Kluge ordonne à Kuntzen de lui fournir sans tarder la 9. Panzer-Division d’Erwin Jolasse (avec ses 80 Panzer IV) pour la déployer vers Saint-Hilaire-du-Harcoët. D’autre part, d’autres divisions d’infanterie qui devaient repousser l’hypothétique débarquement dans le Pas-de-Calais sont rameutées d’urgence dans l’Orne. C’est le cas de la 84. ID d’Erwin Menny (Seine-Maritime), de la 331. ID de Walter Steinmüller (région d’Arras) et de la 363. ID (région de Dunkerque).

– Toutefois, c’est le XLVII. Panzer-Korps de Hans Freiherr von Funck qui doit fournir l’effort principal en attaquant au nord-est de Mortain pour s’emparer d’un « tremplin » offensif située entre Mortain et la Sée qui permettrait de lancer une offensive de second échelon sur l’axe Brécey-Avranches afin d’atteindre les côtes de la Manche et le Mont-Saint-Michel. Sitôt cette seconde phase achevée, il faudra déployer des unités d’infanterie et d’artillerie chargée de consolider le couloir de percée pour séparer définitivement le XIIth Army Group de Bradley en deux. Finalement, Hausser se rallie à ce plan. Le 3 août, trois Divisions de Panzer (2. PzD, 116. PzD et « Das Reich ») décrochent discrètement de leur zones de stationnement à la faveur de la nuit afin d’éviter toute menace alliée. Le plan de von Kluge – dont l’exécution est prévue pour le 6 août  – se décline donc comme suit (voir carte) :

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– Flanc nord : La 116. Panzer-Division (moins un Panzer-Abteilung) du Generalleutnant Gerhard Graf von Schwerin doit attaquer le long de la rive gauche (sud) de la Sée en direction du Mesnil-Gilbert et Chérencé pour déboucher à l’ouest de Sourdeval.

– Centre (axe principal de percée) : La 2. Panzer-Division (plus un Panzer-Abteilung de la 116. PzD et un autre de la « Leibstandarte Adolf Hitler ») du Generalleutnant Heinrich Freiherr von Lüttwitz doit progresser vers Juvigny-le-Tertre, avec l’appui de la 1. SS-PzD « Leibstandarte Adolf Hitler » de Theodor Wisch.
Comme la 116. PzD, la 2. PzD manque de matériels lourd mais au moins elle a été engagée de manière limitée, ce qui lui a permis de maintenir des effectifs convenables.

– Flanc sud : La 2. SS-PzD « Das Reich » d’Otto Baum doit attaquer vers le sud-ouest, via Fontenay et Milly (zone de Mortain) avec l’appui d’un Kampfgruppe de la 17. SS « Götz von Berlichingen ». Ces deux grandes unités ont été considérablement réduites après les combats dans le Cotentin et l’Opération « Cobra ».

– En seconde vague :  la 1. SS-PzD « Leibstandarte Adolf Hitler » (son I./SS-Panzer-Regiment 1 en moins), avec le concours des lance-roquettes Nebelwerfer du Werfer-Abteilung 101, doit s’engouffrer dans la brèche pour atteindre Avranches.

– Mais dès la préparation, les problèmes s’accumulent. En effet, la « Leibstandarte » est en retard et n’a pas fourni son Panzer-Abteilung (bataillon de chars) à la 2. PzD. Même chose pour le Panzer-Abteilung de la 116. PzD.
Constatant les retards pris, Alfred Jodl Chef des Opérations de l’OKW propose à von Kluge de repousser son attaque le 8 août. Mais « Hans le Sage » estime que c’est déjà trop tard et repousse « Lüttich » de deux heures seulement. Pire encore, lorsque que le I./SS-Pz-Regt 1 « LSSAH » remonte une petite route pour gagner sa base de départ, il est se retrouve bloqué par un chasseur-bombardier américain écrasé. Le Bataillon doit donc rebrousser chemin pour se redéployer, ce qui lui prend des heures !

Heinrich Freiherr von Lüttwitz, commandant de la 2 PzD

Heinrich Freiherr von Lüttwitz, commandant de la 2 PzD

Gerhardt Graf von Schwerin, commandant de la 116. PzD

Gerhardt Graf von Schwerin, commandant de la 116. PzD

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