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Général Edouard de Curières de Castelnau

Celui que Georges Clémenceau surnommait avec aversion « le capucin botté » naît le 24 décembre 1851 à Sainte-Affrique (Aveyron). Fils de Michel et Marthe de Curières de Castelnau, avocat, Édouard est issu d’une lignée de la très vieille noblesse rurale du Haut-Rouergue. L’un de ses ancêtres, le Seigneur Hugues de Curières est mentionné comme chevalier ayant servi aux côtés du Roi Saint Louis à la Septième Croisade.

– Après une scolarité remarquable dans la petite ville de Saint-Gabriel,  Edouard de Curières de Castelnau prépare d’abord l’École Polytechnique en 1869, avant d’intégrer Saint-Cyr au sein de la Promotion du Rhin en vue d’honorer l’une des traditions familiales. Lorsque la Guerre de 1870 éclate, le jeune Sous-Lieutenant de Castelnau combat contre les Prussiens au sein du 31e Régiment d’Infanterie. Il a notamment pour chef de corps l’un des petits fils du Maréchal Davout*. Promu rapidement par décision impériale, combat dans l’Infanterie dans l’Est, sur la Loire et au Mans où il se révèle courageux et énergique. Ses actions lui valent d’accéder au grade de Capitaine… avant d’être rétrogradé Lieutenant par ancienneté par la Commission des Grades (celle-ci ne pouvant ni nommer Capitaine un jeune officier de vingt ans ni pour autant nier sa conduite au feu). Grâce à cette expérience, il acquiert une bonne connaissance du maniement de l’Infanterie mais il en retient aussi l’économie du sang.

– Pendant les premières années de la IIIe République, Edouard de Castelnau sert successivement à Laon et à Toulouse. Il se marie aussi avec Marie Françoise Barthe de Mangdebourg, qui lui amène en héritage le domaine de Montastruc-la-Conseillère. Spécialisé dans la mobilisation des armées, le Capitaine de Castelnau est affecté au 1er Bureau de l’État-major… alors peuplé d’officiers connus pour leur appartenance aux loges maçonniques. Conséquence, en 1899, lors de l’Affaire des fiches durant laquelle le Général André veut épurer l’Armée des cadres catholiques et monarchistes, Castelnau est écarté du 1er Bureau. Son engagement anti-dreyfusard joua aussi en sa défaveur.

– Toutefois, après l’affaire de Tanger (1905) où la France à frôlé la guerre avec le Reich Allemand, le Colonel de Curières de Castelnau est rappelé à l’État-major et est promu Général de Brigade. Entre 1906 et 1909, il commande successivement la 24e Brigade d’Infanterie (Sedan), la 7e Brigade d’Infanterie et la 13e Division d’Infanterie (Chaumont). C’est à ce moment qu’il rencontre le Général Ferdinand Foch. Comme l’explique Patrick de Gmeline, bien que presque issus de la même génération et étant tous deux attachés au Catholicisme, les deux hommes s’opposent en plusieurs points : d’une part, Castelnau a l’expérience du commandement au feu, alors que Foch, Polytechnicien, est un homme ayant gravi les échelons de la hiérarchie militaire dans les états-majors. L’un est prudent, alors que l’autre est enthousiaste quant aux idées offensives qui sont en vogue dans les cercles de réflexion de l’Armée française.
Du point de vue de la doctrine, pendant les modifications apportées au Plan XVII, Castelnau s’oppose à l’engagement immédiat prôné par le Général de Grandmaison, estimant que les réserves de l’Armée Française ne peuvent être déployées assez rapidement sur certaines parties du territoire. Il se montre en revanche ardent partisan de la manœuvre à condition que les unités déployées aient leurs flancs sécurisés. En 1913, constatant nombre d’insuffisances matérielles au sein de l’Armée, il fait une intervention tonitruante auprès du Président Poincaré, où il déclare que l’Armée Française est « une armée de pouilleux ». Conséquence, immédiate le Parlement vote des crédits, notamment pour l’Artillerie.

– En mars 1914, le Général de Curières de Castelnau est nommé au Conseil Supérieur de la Guerre, puis reçoit le commandement de la IIe Armée qui garde la frontière entre la Lorraine française et la Moselle allemande. Il a alors sous ses ordres, les IXe, XVe, XVIIIe et XXe Corps d’Armées. Avant le déclenchement de la Grande Guerre, Castelnau organise activement la défense de Nancy. Mais lors de la Bataille des Frontières, Castelnau doit se séparer du IXe Corps de Dubois et du XVIIIe de Maud’huy. Joffre en a en effet besoin pour combler des trous en Champagne et en Argonne. Du coup, Castelnau se retrouve avec les seuls XVe et XXe Corps commandés respectivement par d’Espinasse et Foch. Toutefois, le XXe, formé de Parisiens et de Lorrains et corseté par la 11e Division d’Infanterie de Balfourier, reste l’une des meilleures grandes formations de l’Armée Française.
Conformément aux ordres du Plan XVII, Castelnau reçoit l’ordre de lancer sa IIe Armée dans une percée en Moselle. Mais en face, le Kronprinz Ruprecht de Bavière s’attend à un assaut français et a placé de fortes défenses dans le secteur de Morhange. Lors de la bataille de Morhange, les attaques françaises échouent face aux défenses allemandes. Elle donnera lieu à une controverse bien des années après la Grande Guerre. En effet, comprenant vite que lancer son infanterie sur les bouches à feu ennemies était inutile, Castelnau ordonne à Foch de replier son corps d’élite mais Foch passe outre les ordres de son supérieur et lance une attaque qui saigne sa belle formation. Foch prétendra qu’il n’avait pas reçu les ordres de Castelnau, affirmation qu’il fera confirmer dans une note par son chef d’état-major, Denis Duchêne. L’affaire du XXe Corps à Morhange affectera durablement les relations entre Castelnau et Foch. Toutefois, Foch est rappelé par Joffre pour commander la nouvelle IXe Armée sur la Marne. Foch laisse alors son commandement à Maurice Balfourier, avec qui Castelnau a de bien meilleures relations.

– Bien que devant reculer ses forces, Castelnau et sa IIe Armée – et en liaison avec la Ire Armée d’Auguste Dubail – repoussent les Bavarois du Prince Ruprecht (VI. Armee) à la Trouée de Charmes, ce qui protège la droite (Est) du dispositif français lors de la Bataille de la Marne. Du 31 août au 11 septembre 1914, Castelnau mène victorieusement ses forces à la bataille du Grand-Couronné, au nord de Nancy (voir article sur la Bataille du Grand Couronné).
En 1915, le Général de Castelnau est placé à la tête du Groupe d’Armées Centre (IIe, IIIe et IVe Armées) en Champagne pour mener la Seconde offensive de Champagne (à partir du 25 septembre) contre la III. Armee de Karl von Einem (7 divisions en tout). Son plan prévoit de faire percer l’infanterie sur un front de 35 km entre le Massif de Moronvilliers (Auberive-sur-Suippes) et le Bois de Ville -(Ville-sur-Tourbe), au-delà des rivières Dormoise et Py. Ensuite, la Cavalerie doit passer dans la brèche afin d’exploiter la percée dans la profondeur du dispositif ennemi. L’assaut français est prévu pour le 25 septembre à 09h15, afin de le rendre le plus impeccable possible, même si Langle de Cary souhaite le porter au 15 car le temps est encore idéal. La suite allait lui donner raison… Mais à l’aube de l’offensive de Champagne, le Commandant Jacquand, chef d’état-major du GAC, fait part de ses inquiétudes : « Il est certain qu’on enlèvera la première ligne, mais après ? La deuxième position est à contre-pente : sera-t-elle suffisamment amochée ? Enfin, à la grâce de Dieu, comme a dit le Général de Castelnau à Poincarré. »
La IIe Armée de Pétain réussit à percer le front allemand par endroits mais ces succès ne peuvent être décisives fautes de réserves. Le général allemand von Einem en profite pour ramener des troupes par chemins de fer depuis l’Allemagne et la Belgique. Pire encore, la considérable réserve d’obus allouée par le GQG s’épuise vite, ce qui contribuera à la crise des munitions de 1915. Le 27 septembre, Castelnau ordonne une pause avant de reprendre l’attaque le 6 octobre. Mais les attaques contre Tahure, Navarin, Souain et la ferme des Wacques ne débouchent sur aucune percée. 1 400 000 hommes ont été perdus pour des gains de quelques kilomètres et 25 000 prisonniers ennemis ramassés. Néanoins, Edouard de Castelnau se voit remettre la Grand Croix de la Légion d’Honneur.

– Castelnau devient Chef d’État-major adjoint de Joffre en 1916. Mais il a un rôle principalement d’inspection et non de décision. Il est envoyé à Salonique pour évaluer la situation des troupes alliées qui y sont stationnées. De retour d’Orient, Joffre lui ordonne d’effectuer une inspection dans le secteur Verdun durant le mois de janvier. En effet, le Général en chef estime que les craintes du Général Herr et de son rival Gallieni concernant une offensive en masse sur la Région Fortifiée de Verdun sont infondées. Au sein du GQG, le débat fait rage. Le 2e Bureau chargé du renseignement (Colonel Dupont) prévient que Verdun sera la cible principale mais le 3e Bureau (Opérations) se range de l’avis de Joffre. Joffre pense plutôt qu’Erich von Falkenhayn lancera plutôt une série d’offensives en divers points du front. Du coup, il estime que Verdun ne sera qu’une attaque secondaire. Castelnau se rend alors à Verdun et inspecte le dispositif du Général Herr. Celui-ci, inquiet, lui fait savoir que von Falkenhayn attaquera bientôt en force contre la RF de Verdun, dépourvue d’artillerie lourde et amputée de canons depuis août 1915. Castelnau, qui n’a pas la compétence décisionnel de Joffre, décide néanmoins de laisser le Lieutenant-Colonel Jacquand auprès de Herr pour l’aider à préparer sa défense si les Allemands viennent à attaquer. Le 21 février, lors de la grande offensive de von Falkenhayn, Castelnau se trouve à Chantilly. Le lendemain, Joffre – qui se consacre aux plans de son offensive sur la Somme – donne à Castelnau les pleins pouvoirs pour coordonner la défense de Verdun avec comme ordre strict de ne pas se replier et encore moins derrière la rive gauche de la Meuse. Castelnau envoie d’abord sur place le Colonel Henrys Claudel qui arrive sur place le 22. Le soir même, Claudel transmet au Chef d’état-major adjoint un message estimant que la situation sur place nécessite l’abandon du secteur fortifié et un repli sur la Meuse. Mais les ordres de Joffre sont clairs et Castelnau ne peut y contrevenir. Il convainc néanmoins son chef de confier la défense de Verdun à la IIe Armée de Pétain alors en réserve dans l’Oise. Joffre accepte que Pétain – dont il se méfie – soit chargé de défendre Verdun. Arrivé à Souilly, Pétain estime qu’il lui faut davantage de moyens pour tenir Verdun, sans quoi le front risque de s’effondrer. Il demande des divisions supplémentaires, des canons et surtout du matériel roulant. Castelnau est attentif aux demandes de Pétain et les relaie activement à Joffre. Celui-ci rechigne d’abord mais accepte d’envoyer des renforts à Pétain, au grand dam de Foch qui prépare l’offensive du Groupes d’Armées du Nord sur la Somme. Foch se voit donc amputé de la moitié de ses effectifs destinés à l’offensive. Le soutien actif de Castelnau à Pétain lui vaut les vives critiques du Général Edmond Buat. Dans ses carnets rédigés quotidiennement, Buat reproche à Castelnau d’avoir trop privilégié Verdun au détriment de l’offensive sur la Somme qui aurait pu contraindre les Allemands à reculer, autant qu’à alléger la pression sur Verdun. Dans un sens, ne peut-on pas dire que Castelnau a-t-il pu tomber dans le piège tendu par von Falkenhayn ; à savoir contraindre la France à une bataille épuisante menée avec d’importants effectifs humains ?

– Castelnau coordonne les efforts de la défense de Verdun en liaison avec le GQG durant tout le mois de mars 1916. Mais lors du remplacement de Pétain par Georges Nivelle en avril, Castelnau est mis en inactivité. Mais après la désastreuse offensive du Chemin des Dames (avril 1917), Castelnau prend le commandement du Groupement des Armées de l’Est (VIIe et VIIIe Armées) qui couvre le Front de la Moselle et des Vosges. Cependant, c’est la partie du front qui est resté la plus calme depuis fin 1915 et aucune offensive majeure n’est entreprise dans ce secteur jusqu’en novembre 1918. Lorsque Foch est nommé Généralissime des Armées alliées, Castelnau est écartée au profit de Pétain. Toutefois, il effectue plusieurs missions de liaison auprès des Britanniques et Américains. Un officier américain, le Major Harbord a raconté comment lors d’un dîner, Castelnau ne s’était guère embarrassé d’un long discours et avait conclu un toast en ces termes : « Puissions-nous abreuver ensemble nos chevaux dans le Rhin »

– Il reçoit le commandement du Groupe d’Armées de l’Est (Lorraine) qui fait face aux Allemands sans réellement bouger, se contenant de garder le Front. Foch charge toutefois Castelnau de préparer une offensive pour rejeter définitivement les Allemands de Moselle. Mais l’abdication de Guillaume II et le retrait allemand font que cette offensive prévue n’aura tout simplement pas lieu. En novembre 1918, il fait son entrée dans Strasbourg aux côtés de Foch.

– D’abord pressenti pour obtenir le bâton de Maréchal de France, Castelnau voit cet honneur lui être refusé en raison de l’hostilité toujours viscérale des milieux maçonniques de l’Armée et de Clémenceau en particulier. Consolation, il sera toutefois nommé membre de l’Institut.
Durant la Grande Guerre, le Général Édouard de Currières de Castelnau a perdu trois de ses quatre fils tombés les armes à la main (Xavier, Gérald et Hugues). Malgré ses allures d’aristocrate de province, le Général de Castelnau était très populaire au sein de la troupe. Détestant les longs discours, il n’hésite pas à s’adresser de manière directe aux soldats. Aux soldats d’Aveyron, il n’hésite pas à s’adresser en patois rouergat, ce qui lui vaut d’autant plus leur attachement.

– En 1919, il s’investit en politique et est élu député de l’Aveyron dans la Chambre Bleu Horizon au sein du Bloc National. Durant les années 1920, il combat le Cartel des Gauches (notamment le projet de laïcisation des départements d’Alsace et de la Moselle) et fonde la Fédération Nationale Catholique (FNC) d’inspiration nationaliste, monarchiste, antigermanique, catholique et corporatiste. Pendant la Guerre d’Espagne, Castelnau publie une virulente tribune anti-républicaine dans Le Figaro où il dénonce le « Frente Crapular ».
Ecoeuré par la défaite de 1940, le vieux général se retire de toute vie publique à Montastruc. Et pendant l’occupation allemande de la Zone Libre, s’il reste d’abord loyal envers son collègue Pétain, il se montre – sans s’engager – favorable à la Résistance contre les Allemands. Si l’on en croit même Patrick de Gmeline la collaboration lui inspire même du dégoût et Castelnau se montre plus acerbe en privé envers Pétain. Il fermera même les yeux sur une cache d’armes dans son domaine… Et il encourage même ses petits-fils à passer par l’Espagne pour aller combattre les forces nazies en Méditerrannée. Le sang des Castelnau honorera encore la tradition de la famille puisque Urbain, l’un des petit-fils, sera tué sur le Rhin au sein de la Ire Armée de Lattre.

– Le vieux général s’éteint donc dans la nuit du 18 au 19 mars 1944 sur sa vieille terre du Rouergue. S Clémenceau le haïssait, le Général suscitait toutefois le respect de certains de ses collègues. Ainsi, en 1915, lorsque Joseph Gallieni, alors Ministre de la Guerre, recommandait à Poincarré un nouveau Chef d’État-major des Armées, Gallieni répondit Castelnau par trois fois.
Mais c’est du côté allemand et américain qu’il faut trouver les meilleurs éloges envers Castelnau. Ainsi, le Général allemand von Kluck, le vaincu de la Marne, dit clairement après la Grande Guerre : « L’adversaire français vers lequel sont allées instinctivement nos sympathies, à cause de son grand talent militaire et de sa chevalerie, c’est le général de Castelnau. Et j’aimerais qu’il le sût. »

* Voir P. de Gmeline, Le Général de Castelnau


Lire :

– DE GMELINE Patrick : Le Général de Castelnau, le soldat, l’homme, le Chrétien, Charles Hermès, Paris
– NOTIN Jean-Christophe : Foch, Perrin, Paris
– BUAT Edmond : Journal 1914-1923, Présentation G-H. Soutou & Fr. Guelton, Perrin, Ministère de la Défense