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Napoléon III ; Empereur mal-aimé et méconnu Première Partie

Dénoncé pour tyrannie par Victor Hugo depuis l’Île de Jersey, empereur d’un régime considéré comme « tarré » par Émile Littré, honni par la IIIe République, Napoléon III apparaît quelque peu comme un proscrit de l’Histoire, son règne semblant presque être un accident au milieu du XIXe siècle auquel la défaite de Sedan mit fin. Toutefois, sans glisser dans une hagiographie naïve, il faut cependant replacer cet Empereur à sa juste place. Gardons à l’esprit qu’il a lancé pleinement la France dans la Révolution Industrielle. Toutefois, depuis plusieurs années l’historiographie s’est penchée avec plus d’attention sur le règne de Napoléon III, notamment avec Pierre Milza et Raphaël Lahlou.
Loin d’être une tyrannie en dépit du clientélisme et des bourrages d’urnes électoraux, son Régime a connu une période libérale et conserve encore une très forte légitimité avant la Guerre Franco-Prussienne. Comme le souligne Raphaël Lahlou, ce soit en matière de politique intérieure, sociale, économique et internationale, on peut dire que l’action de Napoléon III a été tiraillée entre les aspirations généreuses légitimes de l’Empereur (mesures en faveur des ouvriers, politique des nationalités), le cynisme politique et les réalités du moment.

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1 – LA JEUNESSE D’UN CONSPIRATEUR

Fils de Louis Bonaparte Roi de Hollande et d’Hortense de Beauharnais, Charles Louis Napoléon Bonaparte naît le 20 avril 1808 à Paris. Il est donc à la fois neveu de Napoléon Ier et neveu et petit-fils de Joséphine. En 1815, sa famille doit s’exiler en Suisse et échoue au Château d’Arenenberg. Le jeune Louis-Napoléon grandit alors dans le souvenir de la gloire de l’Empire. Toutefois, son instruction est confiée Lebas, fils du conventionnel intègre proche de Robespierre. Le jeune prince fait ses études au Collège Militaire d’Augsbourg puis à l’Ecole Militaire de Thoune. Engagé ensuite dans l’armée de la Confédération Helvétique, il sert comme officier d’artillerie. Mais en bon héritier des Bonaparte, la mémoire de son oncle lui occupe l’esprit. En 1828, il reprend à son compte les idées contenues dans le Mémorial de Sainte-Hélène. En 1830, il se rend en Italie avec son frère Napoléon-Louis pour rallier les insurgés favorables à l’Unité contre le pouvoir pontifical. Il se bat en Romagne mais doit repartir ensuite en Suisse pour reprendre un poste dans l’armée helvète comme volontaire en 1832.

En 1836, il débute ses activités de conspirateur. Ainsi, avec des complices, il tente de soulever la garnison de Strasbourg contre Louis-Philippe mais l’affaire échoue. Arrêter, Louis-Napoléon est expédié aux Etats-Unis. De retour en Suisse en 1838, il publie une brochure où il défend les principes majeurs du Bonapartisme : Peuple, Nation, Autorité. Distribué à 10 000 exemplaires, sa publication provoque la réaction de Louis-Philippe qui menace la Confédération de Guerre. Celle-ci n’a d’autre choix que d’expulser le trublion princier. Après un passage en Grande-Bretagne, Louis-Napoléon Bonaparte débarque à Boulogne en 1840 et tente de mener un coup d’état qui échoue de nouveau. Enfermé au fort de Ham dans le Nord, il en profite pour coucher par écrit ses idées économiques et sociales dans son essai De la disparition du paupérisme, fortement inspiré des thèses de Claude de Saint-Simon qui veulent concilier développement économique et politique sociale ambitieuse. En 1846, il réussit à s’évader et à gagner l’Angleterre.

2  LA MARCHE AU POUVOIR

1 – Le Président

Comprenant que le putsch ne peut aboutir, il décide d’entrer en politique légalement en jouant de son nom de famille, toujours très populaire dans certains milieux.
En 1848, il se présente à la Présidence de la Seconde République face à Louis-Eugène Cavaignac (modéré, soutenu par Toqueville), Alphonse de Lamartine, Ledru-Rollin et Changarnier. A ce moment, il reçoit des soutiens aussi divers – sinon opposés – tels Victor Hugo, Odilon Barrot (républicain constitutionnel), Frédéric de Falloux (parti catholique), Faucher et Malleville (orléanistes) et Adolphe Thiers (Parti de l’Ordre). Le suffrage étant universel et masculin pour la première fois en France, Louis-Napoléon Bonaparte l’emporte avec une majorité écrasante de 75% des voix ! Il obtient la majorité absolue à plus de 80% dans trente-quatre départements du sud-est et l’ouest, une majorité relative dans vingt et seul quatre ne lui accordent qu’une minorité des voix (Finistère, Morbihan, Bouches-du-Rhône et Var). Son électorat est majoritairement composé de paysans, d’artisans et de notables des petites villes attachés à la propriété privée. Toutefois, s’il est Président, son gouvernement est formé de personnalités qui ne sont pas bonapartistes, loin de là. En outre, selon un amendement constitutionnel voulu par Toqueville inspiré par l’exemple américain, Louis-Napoléon Bonaparte n’est élu que pour quatre ans et sans pouvoir se présenter à un nouveau mandat. Par conséquent, disposant de pouvoirs limités Louis-Napoléon est forcé de rester en retrait et se contente de lancer des travaux. Toutefois, il réussit à obtenir l’envoi d’un corps expéditionnaire pour secourir Pie IX assiégé dans Rome. Cela cause la colère des républicains mais les élections législatives de mai 1848 donnent encore une majorité aux Parti de l’Ordre (450 députés sur 750) avec toutefois, une notable progression des Démocrates socialistes. Ledru-Rollin demande la mise en accusation du Président mais la manifestation organisée par les républicains n’aboutit à rien. En réaction Louis-Napoléon Bonaparte obtient de l’Assemblée la suspension de la liberté d’association pour limiter les l’influence de la gauche avancée et obtient l’autorisation de faire proclamer l’état de siège lorsque la situation l’exige.

Dès 1849, Louis-Napoléon Bonaparte cultive sa popularité en Province par une série de voyages, notamment dans l’Ouest. Ses discours, simples et accessibles, sont très appréciés des citoyens. Le jeu est très fin. En développant un contact direct avec le peuple, Louis-Napoléon réussit à éclipser les Conservateurs du Parti de l’Ordre empêtrés dans leurs tensions entre courants (Républicains Conservateurs, Orléanistes et Légitimistes). Ainsi, le Président n’est pas « le crétin que l’on mène » comme veut le démontrer Thiers. Louis-Napoléon en profite aussi pour lancer ses premières mesures en faveur du développement du chemin de fer. En 1850, le Président limite toutefois le suffrage universel en faveur du Parti de l’Ordre même si cela heurte ses convictions (les radiés comptant toutefois des démocrates socialistes mais aussi des légitimistes et des napoléoniens plébiscitaires). Toutefois, le Président entre en conflit avec l’Assemblée dont il entretient le discrédit lors d’autres voyages en Province (Est, Lyon, Normandie). Et la revue de Satory du 10 octobre 1850, où la Cavalerie le salue au cri de « Vive Napoléon ! Vive l’Empereur » provoque la fureur de Nicolas Changarnier commandant de la Garde Nationale qui est monarchiste. Changarnier veut faire tomber le Président mais ce dernier réussit à isoler le général en annonçant sa prochaine destitution. Plusieurs ministres démissionnent mais c’est ce qu’attendait Louis-Napoléon. Thiers revient à la charge en faisant voter une motion de défiance contre le président. L’un des proches de Louis-Napoléon Bonaparte, Victor de Persigny un bleu de l’Ouest, pousse son ami à l’action armée mais le Président refuse. Toutefois, la démission de tout le gouvernement lui permet de constituer un « petit ministère » ou « ministère sans nom » sous la direction d’Alphonse d’Hautpoul et d’avaliser la destitution de Changarnier. Durant toute la première moitié de 1851, la vie politique de la France est dominée par différente tentatives de réformer la Constitution de 1848, sous l’impulsion d’Odilon Barrot et d’Alexis de Toqueville. Mais le 21 juillet 1851, la révision ne peut être adoptée en raison de l’absence d’une majorité des trois-quarts de députés. La lenteur des prises de décisions au sein de l’Assemblée crée une véritable « inertie » que dénonce le Président qui pense nettement à passer à l’action.

2 –  Coup d’Etat du 2 octobre et proclamation de l’Empire

Le 20 août 1851, Louis-Napoléon Bonaparte réunit à Saint-Cloud plusieurs hommes ralliés à un projet de coup d’Etat, certains allant devenir les éléments clés du futur régime. On y trouve ainsi Persigny, Eugène Rouher, Emile Fleury, Charlemagne Maupas Préfet de Haute-Garonne,  Pierre Carlier Préfet de Police, le Général Armand de Saint-Arnaud vétéran de la campagne de pacification de l’Algérie et Pierre Carlier. Mais l’un des hommes d’importance dans la planification du coup d’Etat n’est autre que Charles duc de Morny, un affairiste. Le 1er novembre, le Général Bernard Magnan est nommé Commandant de Paris et Maupas Préfet de Police.
Le 2 décembre 1851 – jour anniversaire d’Austerlitz –, le Coup d’Etat baptisé Opération Rubicon (autre symbole) est déclenché avec l’appui de 30 000 soldats. Victor Hugo et Victor Schoelcher tentent de soulever les quartiers populaires de Paris mais les ouvriers ne bougent que très peu. L’état de siège est proclamé dans Paris, quelques barricades se dressent mais elles sont rapidement enlevées et quelques violents affrontements ont lieu sur les grands boulevards. Le Député Baudin est tué. De leurs côtés, les Conservateurs protestent verbalement mais désorganisés, ne peuvent pas grand-chose. Le 4 décembre, tout est terminé. On arrête plusieurs milliers de personnes et plusieurs députés dont Hugo, Edgard Quinet, Thiers, Duvergier de Hauranne et Rémusat sont proscrits.
Sauf qu’en Province, une véritable « Vendée Républicaine » (voir biographie de Louis Girard) fait flamber le Var, les Bouches du Rhône, le Vaucluse, l’Allier et la Nièvre. Adolphe Crémieux en est l’un des principaux chefs. Mais mal organisée, l’insurrection échoue face à l’armée. On arrête près de 6 000 personnes en France mais Louis-Napoléon Bonaparte proclamera 3 400 grâces. Le reste étant envoyé en Algérie.

Le 21 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte organise un plébiscite qui voit le Coup d’Etat approuvé par 7 145 000 voix contre 592 000… avec toutefois une part notable de bourrage d’urnes et de votes multiples organisés par les préfets. Toutefois, le coup de force reste soutenu par les ruraux, les notables des petites villes et par le Clergé qui considère Louis-Napoléon comme un rempart face aux Républicains de gauche.
Pour justifier son action Louis-Napoléon Bonaparte déclare : « Je suis sorti de la légalité pour rentrer dans le Droit ». Une nouvelle Constitution, inspiré de celle de l’An VIII (Consulat) est proclamée qui place le Chef de l’Etat au-dessus de l’Assemblée Nationale qui répond de lui. Le régime n’est plus parlementaire mais plébiscitaire, ce qui implique que le chef de l’Etat élu pour dix ans peut s’adresser aux citoyens sans contrainte dans le calendrier. Le Président nomme les Ministres qui sont responsables devant lui, peut nommer les détenteurs d’emplois civils ou militaires et la Justice se rend en son nom. Ministres, Députés et Fonctionnaires doivent prêter serment. Enfin, seul le chef de l’Etat peut déclarer la guerre ou conduire la paix.

Le 7 novembre 1852, un Sénatus-Consulte donne naissance au Second Empire et le 2 décembre, un nouveau plébiscite octroie à Louis-Napoléon Bonaparte la dignité Impériale avec 7 824 000 « oui ». L’ « Empire autoritaire » voit le jour et durera jusqu’en 1862. Les préfets ont encore bien joué leur rôle et en paroisses, les prêtres ont incité leurs ouailles à « bien voter ». Enfin, pour assurer la pérennité de la lignée de l’Empire, Napoléon III épouse en 1853, Eugénie de Montijo Comtesse de Teba. Un fils naîtra de cette union (marquée par l’infidélité de l’Empereur, notamment avec la Comtesse de Castiglione) : Eugène-Napoléon, qui sera tué en 1879 dans le Natal par les Zoulous.

3 – LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

Nous l’avons vu brièvement en introduction, Napoléon III se veut un empereur social. Il rêve de voir les ouvriers sortir de la misère et devenir propriétaires. Mais ses aspirations, aussi généreuses et sincères furent-elles vont être mises à mal par le dynamisme économique réel qui a fit entrer la France dans la Révolution Industrielle.

Dès son arrivée au pouvoir, l’Empereur entreprend de lancer la France dans une audacieuse politique de développement économique marquée par le renoncement à un fort protectionnisme mais toujours sous l’œil de l’Etat. Ainsi, pour financer le développement industriel, Napoléon III permet le développement des Banques et des sources de crédit, grâce à l’entremise de deux financiers, les Frères Pereire. Sous son règne, naissent le Crédit Foncier de France, le Crédit Industriel et Commercial et le Crédit Lyonnais fondé par Henri Germain qui existe toujours aujourd’hui. En outre, marque du refus d’un protectionnisme trop fort, un Traité de Commerce entre la France et la Grande-Bretagne est signé le 15 janvier 1860 par Michel Chevalier et Richard Cobden. Cet accord prévoit l’abaissement des droits de douane et de plus grands échanges commerciaux entre les deux pays.

La politique de développement économique est marquée par le développement des industries textile, chimique et sidérurgique, notamment dans le Nord de la France et en Lorraine. Par le même coup, l’exploitation des mines de charbon prend aussi un important essor. Le développement de la sidérurgie permet de développer le chemin de fer de façon particulièrement intensive. Alors qu’en 1849, paris ne reliait qu’Etretat à l’Ouest et Vitry-le-François à l’est, en 1870, le maillage ferroviaire français atteint 18 000 km. Toutes les grandes villes de province sont alors connectées au rail.
Cette politique économique permet à la France de rattraper son retard face à la Grande-Bretagne même si elle ne deviendra jamais son égal dans ce domaine.

Dans les provinces, l’Empereur encourage aussi la modernisation de l’agriculture et une plus grande production en vue d’exporter les produits. Il encourage notamment les agriculteurs à s’organiser, ainsi que la création de sociétés de crédits pour encourager la productivité.
Enfin, cette politique de développement économique permet à la France d’acquérir deux vitrines. Ainsi, en 1855 et 1867, Paris organise deux expositions universelles à l’exemple de Londres où les innovations industrielles encouragées par le régime sont présentées. D’autre part, nommé Préfet de Paris, le Baron Haussmann entreprend de vastes de travaux de rénovation de la capitale et la construction de nouveaux édifices. Ainsi, les rues sont élargies à des buts autant sanitaires que militaires (éviter la construction rapide de barricades) et le vieux quartier de l’Île de la Cité est rasé. Seules Notre-Dame et la Sainte-Chapelle sont conservées et un nouveau Palais de Justice est édifié. Sur la rive droite, on bâtit le Théâtre du Châtelet, l’Opéra Garnier, l’Eglise Saint-Augustin, ainsi que les Halles de Paris. L’effet pervers de la politique d’Haussmann se voit toutefois dans la fracture sociale qui va marquer durablement la capitale ; l’Ouest étant aux mains des classes supérieures tandis que l’Est reste populaire et ouvrier.

2 – Portée limitée des aspirations sociales de l’Empereur

Résolument Saint-Simonien, Napoléon III souhaite que les ouvriers bénéficient du développement économique. Malheureusement, sous l’Empire Autoritaires, si les classes moyennes et les notables de provinces voient leurs conditions de vie s’améliorer nettement, les ouvriers connaissent toujours des conditions difficiles. Toutefois, lors de l’avènement de l’Empire Libéral en 1862, l’Empereur cherche de nouveau l’appui du milieu ouvrier et prend des mesures en leur faveur. Jusqu’alors, les catholiques sociaux, notamment la Société Saint-Vincent de Paul, se préoccupait du sort des ouvriers. Notons aussi que l’Impératrice vient aussi en aide aux démunis dans une logique de bienfaisance. Ainsi, en 1862, est fondée la Société du Prince Impériale qui reste une société d’aide parrainée par l’Empereur. Napoléon III souhaite aussi créer une Inspection du Travail mais son projet est rejeté par le Conseil d’Etat. Napoléon III autorise une délégation ouvrière menée par Henri Tolain de visiter la Grande-Bretagne pour voir comment les ouvriers se sont organisés. En 1864, Tolain est autorisé à fonder l’Association Internationale du Travail. En 1866, un décret impérial autorise les ouvriers et salariés à se constituer en association mais toujours sous contrôle de l’Etat. La même année, l’Empereur autorise la constitution de sociétés d’entraide mutuelle. Les réunions doivent être notamment déclarées en préfecture. Cela aboutit à des situations prêtant à rire si le Préfet est peu favorable à la réunion d’ouvriers. Ainsi, on voit des réunions déclarées sous le sigle : « Comment élever des lapins ».
La politique impériale sera fortement critiquée par les Socialistes de l’époque et par l’a IIIe République. Les Socialistes reprochant à Napoléon III d’émanciper les ouvriers sur le plan économique et non sur le plan politique. Si les milieux populaires ne se rallieront pas en masse à l’Empereur et beaucoup allant préférer rejoindre les différents courants socialistes voire plus radicaux, le ralliement d’une partie non négligeable des ouvriers français à la politique sociale de l’Empereur, ne serait-ce que par une amélioration notable de leur pouvoir d’achat et l’assurance d’avoir un travail relativement stable durant le règne.

 En 1868, Napoléon III réussit toutefois à abroger un article du Code civil édictée par son oncle affirmant que la parole du Maître prévaut sur celle de l’ouvrier. L’Empereur tente ensuite de faire disparaître le Livret d’ouvrier crée sous le Premier Empire qui était un moyen de contrôle social. Malheureusement, là encore, le Conseil d’Etat refuse d’enregistrer ce projet de loi.

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