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Chroniques de la Bataille de Normandie – 38/ La Poche de Falaise (Cinquième partie)

6 – « STALINGRAD EN NORMANDIE » N’AURA PAS LIEU

A – QUAND L’OCCASION MANQUÉE FAIT LE LARRON

– Alors que le XVth US Corps de Haislip se prépare à s’emparer de Chambois malgré que des petites unités d’infanterie françaises en aient été chassées, Bradley ordonne à Patton de s’arrêter-là afin de reformer son dispositif. Sans doute trop ambitieux, Bradley veut couper les accès de la Seine aux forces de Model. Le commandant du XIIth US Army Group justifie sa décision en mettant en avant le fait que les troupes de Patton sont en vue de la Seine.  Il ordonne donc aux trois Corps de la IIIrd Army   de se lancer en trois colonnes rapides vers la Seine pour créer une sorte de souricière géante qui piégerait quasiment tout le Heeres-Gruppe B. Une super « Kesselsschlacht », pourrions-nous dire mais c’est vite oublier que « le mieux est l’ennemi du bien ».
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– Bien sûr, ce n’est guère du goût de Patton qui fulmine et adresse le message suivant à son supérieur dans le style qu’on lui connaît : « Brad’, laisse-moi marcher sur Falaise et rejeter les Angliches à la mer, comme à Dunkerque ! » Au-delà du propos qui trahit la considération que Patton porte aux Anglo-Canadiens, sa colère semble assez légitime puisqu’il était en mesure d’opérer un dernier coup de rein dans le flanc sud allemand pour atteindre Chambois et fermer le « couloir de la mort ».

– Mais les récriminations du patron de la IIIrd Army n’y peuvent rien ; Bradley ordonne donc à Patton de réorienter son XVth US vers Dreux tout en lui ôtant la 5th Armored Division, la 2e DB de Leclerc et la 90th Infantry Division qui passent alors sous le contrôle du Vth Corps de Gerow. La 80th Infantry Division de McBride est retirée du XXth US Corps de Walker pour venir renforcer le Vth. Ajoutons à cela que la réorientation du XVth et les transferts d’unités de Corps à Corps fait perdre plusieurs heures aux américains. Heures qui sont toujours gagnées par Model.

– Il est bien vrai que la chevauchée de la IIIrd Army vers la Seine est un exemple d’action rapide. Avec les 3rd et 7th Armored Divisions en tête, les troupes de Patton commencent à venir renifler les abords de Paris. Ainsi, dans la nuit du 18-19 août, le XVth US Corps de Haislip a déjà traversé la Seine à hauteur de Dreux, pendant que la 7th Armored Division (Major.General Lindsay Silvester) du  XXth US Corps d’Harris W. Walker est déjà en vue de Mantes et Fontainebleau et le XIIth Corps de Manton S. Eddy vient de libérer Orléans et Châteaudun pour s’approcher de Chartres. Venant constater l’avancée de ses éléments de pointe, Patton atterrit dans le secteur du XVth Corps et annonce plus tard gaillardement à Bradley qu’il est « allé pissé dans la Seine ». Il fera d’ailleurs la même chose sur le Rhin sept mois plus tard…

– Mais avec cette volonté de courir deux lièvres à la fois, Bradley manque définitivement l’occasion de bloquer un peu plus de 110 000 hommes dans une nasse qui se rétrécit de jour-en-jour. Les troupes d’Eberbach et de Sepp Dietrich parviennent alors à maintenir un couloir d’évacuation entre Chambois et Argentan, lequel reçoit bientôt le surnom de « Couloir de la Mort ».  Mais les Allemands connaissent eux aussi une difficulté liée à la configuration du terrain. En effet, ils doivent traverser deux cours d’eau : la Dives, peu large mais très encaissée et ne disposant que d’un pont à Saint-Lambert-sur-Dives, puis la Touques à Vimoutiers.

– Model tire aussitôt parti de cette accalmie sur son flanc gauche (sud). En dépit de la situation chaotique, ordonne au XLVII. PzK de von Funck (2. PzD, 1. SS « Leibstandarte » et 10. SS « Frundsberg » PzD) de maintenir la mâchoire ouverte dans le secteur compris entre Saint-Lambert et le Forêt de Gouffern. Pendant ce temps, la 116. PzD de von Schwerin s’accroche à la route Argentan – Chambois pour couvrir les éléments arrière de la retraite. Le I. SS-PzK de Diettrich très affaibli fait face aux Polonais le long de la Dives, sur la route Trun – Vimoutiers. Model a aussi eu l’idée judicieuse de faciliter l’évacuation partielle du II. SS-PzK de Wilhelm Bittrich (2. SS « Das Reich » et 9. SS « Hohenstaufen » PzD) A L’EST de la ligne Trun – Chambois – Argentan afin de le reformer en vue d’une possible contre-attaque. D’autre part, le LXXXVI. Armee-Korps, plus faible, est déjà sortie de la poche de Falaise pour se poster au nord-est de Vimoutiers. Le LXXIV AK d’Erich Straube (qui était accouru en urgence depuis le nord de la Bretagne à la fin juillet), avec les restes étrillés des 84, 276, 277, 326 et 363. ID, réussit lui aussi à s’introduire dans le Couloir de la Mort sous les assauts des bombardiers légers alliés.  Enfin, le LXXXIV. AK d’Otto Elfeldt accroche le train de l’évacuation avec le II. Fallschirm-Korps. Quoiqu’il en soit, ayant savamment mis à profit l’accalmie qui lui a offerte Bradley, tout comme l’arrêt des Polonais aux Champeaux, Model a déjà réussi à évacuer un peu plus de 90 000 hommes de la Poche de Falaise depuis le 15 août, ce qui confirme les qualités tactiques du Führers-Feuerwehrmann.

shambl11CANUCKS A SAINT-LAMBERT-SUR-DIVES ET POLONAIS SUR « MACZUGA* »

– Parallèlement aux efforts Polonais, le Major.General  George Kitching détache une force mécanisée placée sous le commandement du Major David V. Currie et composée de l’Argyll and Sutherland Highlanders et du  29th South Alberta Armoured Regiment, qui a pour mission de progresser sur la route Trun – Chambois avant d’attaquer Saint-Lambert-sur-Dives, principal point de passage des forces allemandes en retraite. Currie doit ensuite utiliser Saint-Lambert comme tremplin pour atteindre Chambois afin de « muscler » la tenaille nord avec les Polonais.

– Sauf que les choses ne se passent pas conformément au plan de Kitching. En effet, le 18 août, les chars canadiens arrivent bien à l’Ouest de Saint-Lambert qui se trouve tenu par des Grenadiere particulièrement accrocheurs du XLVII. PzK, appuyés par des canons antichars. Deux Sherman sont perdus, forçant Currie à se replier sur la Cote 117, une butte dominant le hameau. Ce nouveau coup d’arrêt permet à tous les restes du II. SS-PzK de se replier derrière le Mont-Ormel.

Insigne du 29th South Alberta Regiment

Insigne du 29th South Alberta Regiment

Le 19 août, Currie repart à l’assaut de Saint-Lambert. S’il réussit encore à pénétrer dans l’ouest du village avec ses chars et des éléments de l’Argyll and Sutherland Highlanders, il se retrouve une fois de plus bloqué à 1 000 mètres du pont sur la Dives en raison d’une résistance aussi acharnée qu’audacieuse de la part des Allemands. Ainsi, profitant du couvert des bâtiments, des Landsers n’hésitent pas à bondir sur les chars canadiens pour y accrocher des charges magnétiques. Cette technique de combat éprouvée des Panzerknackers force du même coup Currie à innover. Il ordonne alors à ses Sherman de tourner autour des corps de bâtiments, tels les Indiens d’Amérique autour du camp de pionniers, afin de se couvrir mutuellement à la mitrailleuse au cas où des Grenadiere seraient tentés de placer leurs fameuses charges. Dans le même temps, le Major Canadien dirige les tirs de l’artillerie de la 4th Division autour du pont, causant ainsi de sérieuses pertes aux forces allemandes en retraite. Toutefois, les Canadiens ne bougeront pas de leurs positions jusqu’au 22 août.

Photo (rare) de soldats du 1er BC de Podhale montant au combat

Photo (rare) de soldats du 1er BC de Podhale montant au combat

– Plus au nord, les Polonais continuent leurs progrès. Le Groupement Stefanewicz réussit à grimper sur la Cote 262 et à occuper le Manoir de Boisjos, après que le 1er BC de Podhale de Complak ait anéanti une compagnie de soldats ennemis censés gardés le secteur. Depuis le sommet du Mont-Ormel (là où se situe l’actuel mémorial) Stefanewicz et ses 2 000 hommes peuvent contempler le spectacle qui s’offre à eux, PRESQUE TOUTE L’ARMÉE ALLEMANDE est en contrebas. Sans tarder, il oriente les canons de ses Sherman, Firefly et canons antichars en direction de Chambois et ordonne de faire feu, pendant que le Capitaine Sérigny, officier d’artillerie canadien rattaché aux Polonais, règle les tirs d’artillerie sur les allemands en retraite. Toute une colonne se fait massacrer. Malheureusement, Stefanewicz est presque victime de son succès car des masses de soldats allemands convergent vers le Mont-Ormel et les munitions commencent à manquer. Pis encore, une colonne de ravitaillement dépêchée par Maczek est prise en embuscade et doit rebrousser chemin avec de sérieuses pertes. Stefanewicz va se bientôt se retrouver isolé en haut du Maczuga et les blessés commencent à affluer au Manoir de Boijos transformé en hôpital de campagne. Simultanément, le Groupement Zgorzelski se regroupe entre le pied du Mont-Ormel et Saint-Lambert et fonce vers Chambois.

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B – JONCTION A CHAMBOIS : LA POCHE EST ENFIN (PRESQUE) REFERMÉE ! 

– Au sud-est d’Argentan, Leonard T. Gerow a donc repris le relais du XVth Corps, pour reprendre l’offensive le 17 août. L’autre objectif du Vth Corps est de fermer la brèche existant encore entre Argentan et Exmes. Notons aussi qu’à l’ouest, la 9th Infantry Division de Craig s’est emparée de Putanges, talonnant ainsi la 9. PzD. S’étant fait bloquer par une forte résistance allemande à hauteur d’Argentan, le 318th Infantry Regiment du Col. Harry B. McHugh (80th Infantry) vient couper la route Argentan-Trun par un mouvement en crochet par l’est. Le 18 août, le Maj.Gen. Raymond S. McLain, chef de la 90th « Tough and Ombres »  (devenue une unité bien plus efficace que lors de son arrivée sur le sol normand) ordonne au 359th Infantry du Col.  Robert L. Bacon de marcher sur le Bourg-Saint-Léonard et rejoindre les Polonais à Chambois. 

Insigne du 359th US Infantry Regiment

Insigne du 359th US Infantry Regiment

– Seulement, suite à une confusion dans ses préparatifs de marche, le 359th Infantry ne se met en marche que le 19. Placé en fer de lance, son 2nd Battalion avance bien et atteint Fel durant l’après-midi et pousse jusqu’aux abords de Chambois durant la soirée. Le Lieutenant Laughlin E. Waters de la E Company du 2/359th Infantry (Major Leonard C. Dull) et sa section pénètrent dans Chambois complètement détruite (hormis son Donjon du XIIe siècle qui gardait la frontière entre le Duché de Normandie et le Maine durant l’Epoque médiévale). Pas un allemand. Waters progresse encore quelques mètres et aperçoit un soldat portant l’uniforme britannique. Mais il s’agit du Lieutenant Karcz du 10e Régiment de Dragons. Les Polonais du Groupement Zgorzelski sont donc dans Chambois, ce qui indique que la poche de Falaise est théoriquement fermée. Toutefois, l’espace ouvert existant encore entre les Canadiens à Saint-Lambert et les Polonais sur Maczuga et Chambois est encore ouvert, permettant encore à des milliers de soldats allemands de s’agglutiner dans le couloir de la mort. Après les poignées de mains et les accolades, Zgorzelski et Bacon prennent immédiatement des dispositions pour défendre Chambois car les Allemands sont fortement susceptibles d’y lancer des contre-attaques.

Insigne du 10e Régiment de Dragons polonais

Insigne du 10e Régiment de Dragons polonais

– Plus à l’est, le Sous-groupement Massu (Groupement Tactique de Langlade) de la 2e DB prend position entre Exmes et Oméel (localité située à l’extérieur de la poche), afin de bloquer les sorties du couloir de la mort. On peut s’étonner que le chef de la 2e DB n’ait pas déployé davantage de force dans ce secteur. Les raisons sont ici autant militaires que politiques. En effet, depuis deux jours, le Général de Gaulle presse Eisenhower de lui lâcher la 2e DB pour que celle-ci fonce sur Paris afin de venir en aide aux insurgés qui ont démarré les combats le même jour. Leclerc n’attend jusqte que l’autorisation de Bradley de se porter vers la capitale, sans en référer à Gerow qui en sera profondément courroucé. L’absence de forces françaises supplémentaires a contribué en partie à laisser le couloir de la mort ouvert.

Le Capitane Wladyslaw Klaptocz (à gauche) conversant avec le Major Leonard C. Dull du 359e RI Américain (90e Division)

Le Capitane Wladyslaw Klaptocz (à gauche) conversant avec le Major Leonard C. Dull du 359e RI Américain (90e Division)

– Revenons maintenant du côté Canadien. Les éléments de la 4th Canadian Armoured Division combattent toujours pour forcer le cours de la Dives et s’emparer de Saint-Lambert et du gué de Moissy. Autour de ses deux localités, la vision est quasi-apocalyptique. Victimes des assauts des Typhoon comme des tirs d’artillerie, des centaines de cadavres d’hommes et de chevaux gisent dans les champs, les fossés et dans la Dives, côtoyant les carcasses calcinées de véhicules. Les cours d’eau sont très vite contaminés et des nuages de mouches vont bientôt s’abattre sur la plaine de Chambois.

– Mais l’évacuation se poursuit grâce aux efforts presque surhumains de commandants de division qui retrouvent là une situation qu’ils ont pu connaître sur le Front de l’Est. Ainsi, Heinrich von Lüttwitz, patron de la 2. Panzer-Division, organise le retrait de sa division et d’éléments d’autres divisions qui s’y sont agglomérés depuis le clocher de l’église de Saint-Lambert. Heinz Harmel, le charismatique chef de la Frundsberg rassemble ses officiers dans la même église et les harangue ainsi : « Ecoutez-moi vous tous de la « Frundsberg » et les autres, approchez-vous ! Nous attaquons et nous perçons ! Souvenez-vous du vieux cri de guerre des Frundsberger :  Daran ! Darauf und durch ! ». Galvanisés, les hommes de Harmel se remettent en marche vers le couloir de la mort. De son côté, Richard Schimpf, chef de la 3. Fallschirm-Division explique sans détour à ses soldats que « le premier qui osera dire que l’on ne sortira pas de cette poche se fera fermer la gueule à coups de poing ».

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[Suite]

* Prononcer Matchouga